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 Haiti-Refondation.org

FORCES ET FAIBLESSES DE L’ÉCONOMIE CHINOISE

17 Juin 2015, 08:22am

Publié par haiti-refondation-org

FORCES ET FAIBLESSES DE L’ÉCONOMIE CHINOISE
Résumé :
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La Chine connaît un développement économique sans précédent dans l'histoire, qui fascine les économies les plus avancées et peut également, parfois, être source d'inquiétudes pour celles-ci. La question de ses forces et de ses faiblesses se pose donc avec acuité. Ainsi, le pays a effectivement réussi un décollage économique spectaculaire, multipliant son poids dans l'économie mondiale par sept en trente ans et devenant la deuxième puissance économique en termes de PIB nominal ainsi que le premier pays exportateur au niveau mondial. De plus, la Chine a établi de grands groupes industriels à l'ambition mondiale et investit de plus en plus à l'étranger ainsi que dans les nouvelles technologies telles que les énergies renouvelables, et dans les services. Cependant, des défis demeurent : développement déséquilibré en faveur de l'exportation et de l'investissement nécessitant un " recentrage " en faveur de la consommation, persistance de fortes inégalités sociales et géographiques, risques énergétiques et environnementaux et nécessité de générer de nouveaux vecteurs de croissance par l'innovation.
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Introduction

L'émergence de la Chine est un phénomène sans précédent historique. Avec des taux de croissance de l'ordre de 9% à 10% ces dernières années, elle fait l'objet d'une fascination accrue par le caractère impressionnant de sa réussite rapide et sa capacité à avoir su tirer profit de la mondialisation des échanges. De nombreux commentateurs estiment dans le même temps que la croissance soutenue des géants asiatiques, au premier rang desquels la Chine, se traduira par un glissement continu du centre de gravité de l'Ouest vers l'Est, une tendance qui s'est accélérée à l'aune de la crise économique que traversent en regard les pays occidentaux les plus avancés. Ces analyses sont parfois mêlées d'inquiétude face à la délocalisation croissante d'activités industrielles vers la Chine et, plus généralement, vers l'Asie, mais aussi par la multiplication récente des investissements chinois à l'étranger, notamment en Europe. Pourtant, si ces derniers se sont intensifiés au titre d'actifs ou de rachats de dettes souveraines de certains pays européens, ils restent dans l'ensemble encore limités, en particulier lorsque l'on les compare aux flux d'IDE entrants de l'Union européenne en Chine. Le Premier ministre chinois rappelait ainsi début février 2012 que son pays n'avait ni la volonté, ni la capacité " d'acheter l'Europe ". La Chine est-elle si puissante que certains s'accordent à le penser sur le plan économique ? Quelles en sont donc les forces et les faiblesses ? Quels en sont les défis ?
1. Lignes de force du succès économique chinois.

L'ascension de la Chine ces trente dernières années, depuis le début de l'ère des réformes en 1978, est certainement hors du commun par son ampleur et son échelle. Le pays comptait pour 1% de l'économie mondiale en 1976 ; elle en représente actuellement plus de 7% avec des prévisions de croissance la portant dans certains cas à 20% dès 2025 [1] (l'Union européenne serait alors à 21% au même titre que les États-Unis). Son essor économique lui a permis de dépasser le Japon depuis 2010 comme deuxième puissance économique en termes de PIB nominal (troisième si l'on comprend l'Union européenne).

Certains pans de l'économie chinoise se sont ainsi accrus dans des proportions considérables. Premier pays exportateur au niveau mondial, première puissance manufacturière ayant dépassé les États-Unis en 2010 à titre quantitatif (la productivité restant bien en deçà des performances américaines), premier marché automobile avec 18 millions de véhicules vendus sur le territoire national en 2010, le grand bond en avant de la puissance chinoise s'est essentiellement nourri d'une politique économique initialement portée par l'investissement et la priorité donnée aux exportations. La Chine est ainsi devenue en peu de temps le deuxième partenaire commercial de l'Union européenne et des États-Unis et son poids, notamment pour l'Union européenne, ne cesse d'augmenter de manière significative (en 2006, le pays représentait 10,1% du total des exportations et importations de biens de l'Union européenne, mais 13,9% en 2010 ; cette même année, les États-Unis comptaient pour 14.4% du commerce de l'Union). A ceci s'ajoute la priorité bien connue qui a été donnée à l'épargne, à une forte bancarisation de l'économie couplée à une augmentation de la masse monétaire et à un endettement externe restreint : une stratégie somme toute relativement similaire à celle d'autres émergents asiatiques.
Un des faits peut-être les plus notables de cette réussite chinoise ces dernières années, et qui devrait se confirmer de façon plus large à moyen terme, réside dans la constitution de grands groupes chinois à vocation mondiale, accélérée par une stratégie de montée en gamme industrielle et technologique dans le contexte d'une multiplication des investissements chinois à l'étranger - la stratégie encouragée au niveau national dite "go global". On notera par exemple, en Europe, les rachats du constructeur automobile Volvo par Geely à hauteur de 1,3 milliard € en 2010 ou de l'entreprise chimique hongroise Borsodchem par le groupe industriel Wanhua (1,2 milliard € en 2011) ou les opérations de rachats de participation au travers du fonds souverain étatique China Investment Corporation (reprise de 9% du capital de la société de distribution d'eau britannique Thames Water en 2012 ou protocole d'accord en vue du rachat de 30% de la filière exploration et production de GDF Suez en 2011). Si ces investissements de grande ampleur tendent à rester encore marginaux et si la Chine ne se situe actuellement qu'au 16e rang mondial en termes de stocks d'IDE sortants du pays (soit près de 3% de ceux de l'Union européenne), on estime généralement qu'elle devrait devenir dans les prochaines années l'un des plus grands contributeurs au monde en termes d'investissements directs étrangers.
Le développement d'investissements en interne dans le domaine des nouvelles technologies, en particulier des énergies renouvelables, et des services souligne par ailleurs une volonté de renforcement des capacités technologiques de l'économie chinoise [2]. Celle-ci s'appuie notamment sur des parcs technologiques de pointe, comme celui de Zhongguancun près de Pékin qui concentre des activités de recherche, de développement ou de production de services et rassemble désormais près de 20,000 sociétés de hautes technologies dont de grandes entreprises chinoises (Lenovo) et étrangères (Google ou Microsoft). De fait, si la contribution du secteur tertiaire au PIB chinois s'élevait à 43% en 2010 (celle de l'industrie à 47%), on estime que ce ratio devrait s'inverser rapidement avec une proportion du secteur tertiaire qui deviendrait majoritaire dès 2016-2020 (51%) et pourrait atteindre 61% en 2026-2030 - se rapprochant alors de la moyenne estimée par la Banque mondiale de 75% pour les économies dites à hauts revenus.

Mais, malgré ces perspectives et cette réussite incontournable, le pays reste une puissance en émergence: face au défi sans précédent que représente son développement économique - le projet de construire une société pleinement avancée à l'échelle de 1,3 milliard de personnes –son rattrapage n'est pas exempt de difficultés majeures. Et pour cause, en dépit d'une croissance soutenue ces dernières années, le PIB par habitant reste encore loin de celui des grandes économies avancées (il s'élevait à 4400$ en Chine en 2010 contre 34700$ en moyenne dans les pays de l'OCDE).
2. Les grands défis de la Chine : risques et faiblesses.

Les problématiques de la Chine sont typiques de celles de pays émergents mais avec la particularité de son échelle, de son modèle social et politique et de la rapidité de son décollage. Le pays devra aborder concrètement plusieurs questions essentielles afin de développer son économie, d'en rééquilibrer les structures et assurer un taux de croissance minimale pour maintenir la stabilité sociale, alors qu'il entre dans une seconde phase de transition économique [3]. Dans un contexte de ralentissement en 2012 d'abord engendré par une diminution de la demande extérieure, la priorité économique des autorités chinoises est à juste titre le maintien d'une croissance stable à court et moyen terme. Il y a notamment quatre préoccupations centrales :

- La Chine souffre encore d'un modèle de développement déformé en faveur de l'exportation. Cette politique économique s'est certes traduite par le développement rapide du volume de production, mais en s'appuyant sur une surabondance d'intrants (travail et capital), elle s'est accompagnée également de gaspillages (rendement relativement faible, coûts de la pollution et d'un modèle basé sur sa capacité à produire à une vitesse considérable au détriment parfois des ressources naturelles ou de la sécurité et de l'entretien) : par exemple, les problèmes récents liées à la protection de l'environnement et à la prévention des risques écologiques engendrés par la barrage des Trois Gorges ou les difficultés de lancement du TGV chinois [4]. Dans l'ensemble et malgré une baisse notable depuis 2007, la dépendance de l'économie chinoise à la demande extérieure se maintient à des niveaux élevés– les exportations représentant 26% du PIB en 2011 (35% en 2007) [5]. Dans ce contexte, on estime que l'affaiblissement de la croissance chinoise (9,2% en 2011 avec des prévisions moyennes la portant à 8,5% en 2012) est d'abord lié à un ralentissement des échanges commerciaux qui se traduit par des difficultés croissantes notamment pour les PME du secteur exportateur et parfois des tensions sociales [6]. L'accumulation massive des réserves de change, évaluées à 3200 milliards $, et dont la majorité serait libellé en dollars, a par ailleurs exposé le pays à des risques importants de pertes de change, malgré une plus grande diversification de ces placements, notamment en euros et en yen.
Ce qui a fait l'une des forces de la Chine ces dernières années (la priorité donnée à l'exportation et à l'investissement) nécessite un réajustement plus prononcé en faveur de la consommation intérieure. La tendance au rééquilibrage de l'économie, initiée par les autorités chinoises, se poursuit mais la consommation des ménages reste faible et ne compte que pour 35% du PIB. Par comparaison, cette proportion atteint 60% à 70% du PIB pour la plupart des économies de l'OCDE [7]. Plus généralement, la Chine court le risque de se retrouver prise au "piège du revenu moyen", un syndrome par lequel les inégalités de salaires, qui sont typiques d'une économie tournée vers l'exportation avec une main d'œuvre à bas coûts, limitent l'émergence d'une classe moyenne large et prospère qui est essentielle pour stimuler la demande intérieure. Le coefficient de GINI qui mesure l'écart des revenus dans une société donnée est estimé à près de 0,41 en Chine pour la période 2000-2010 et en hausse par rapport à 1985 (alors à 0,26). Autrement dit, les inégalités se creusent : selon le 12e plan quinquennal chinois, qui prévoit un changement plus rapide du mode de développement économique chinois, le revenu moyen devrait donc croître de plus de 7% par an entre 2011 et 2016 et s'accompagner de réformes afin de réduire les écarts sectoriels et réguler les revenus. L'enjeu est important alors que le développement économique semble avoir mieux profité à une partie de la population accentuant les disparités notamment entre zones rurales et urbaines.

- Les inégalités sociales et géographiques se maintiennent. Le fossé persiste entre les régions développées et sous-développées du pays en dépit des progrès réalisés ces dernières années en termes de croissance du PIB et des politiques de développement mises en place par les autorités afin de favoriser les parties centrale et occidentale du pays. 50% du PIB était toujours réalisé dans les zones côtières en 2009. Avec un taux d'urbanisation en forte croissance (la part de la population urbaine est passée de 36% en 2000 à 50% en 2011 et pourrait atteindre 65% d'ici 2030), la gestion de cette transition économique reste délicate. La population des travailleurs migrants, issue des campagnes chinoises, compte plus de 150 millions de personnes dont les conditions restent précaires notamment en matière de sécurité sociale. Face à la hausse des coûts de la vie, plusieurs villes chinoises doivent faire face à une pénurie de main d'œuvre. Si des mesures viennent d'être adoptées par le pouvoir politique afin de réformer le système du permis de résidence de cette population, la croissance et la stabilité sociale représentent un défi important pour l'ensemble du pays. Il est en effet prioritaire d'accélérer le développement du système de protection sociale, décourageant dans le même temps une tendance à l'épargne excessive. Si l'objectif retenu est un niveau de couverture universelle d'ici 2020, le défi est le plus prononcé en ce qui concerne les retraites (on estime que moins de la moitié de la population bénéficiait d'une forme de pension de retraite en 2010) face aux pressions démographiques croissantes d'une population vieillissante. La part des personnes âgées de plus de 60 ans devrait tripler d'ici 2050, représentant alors plus de 30% de la population.

- Les risques énergétiques et de ressources restent majeurs. Premièrement, la diminution des ressources propres du pays: les réserves chinoises de charbon pourraient être épuisées d'ici 35 ans si la consommation se maintient au rythme de 2010, et ce alors que le charbon compte encore pour plus de 65% des besoins énergétiques. La situation est similaire pour les réserves de gaz naturel et de pétrole, se traduisant par une dépendance accrue aux importations. La Chine est déjà le premier consommateur d'énergie au monde et sa demande devrait continuer à augmenter avec l'urbanisation et le développement de ses classes moyennes. Or, si le pays a fait des efforts conséquents dans le domaine des énergies renouvelables (la part des énergies non fossiles du mix chinois devrait être portée à 15% à 2020), l'efficacité énergétique du pays reste quatre fois inférieure à celle de l'Europe. Deuxièmement, la détérioration rapide de leur sol et de leurs ressources en eau : 90 % des sections de rivière en bordure des grandes villes sont polluées [8] alors que le coût global de la pénurie en eau était estimé à près de 1% du PIB en 2007. Dans l'ensemble, la dégradation des ressources naturelles et environnementales du pays était évaluée à hauteur de 9% du PNB en 2008. Enfin, son exposition à l'envol des prix des matières premières : énergétiques, agricoles, mais aussi les métaux dont la volatilité s'est fortement accrue ces dernières années.

- Le défi de l'innovation technologique et le rééquilibrage des structures économiques appellent également à renforcer la créativité et l'éducation en générant de nouveaux vecteurs de croissance. Si la Chine devrait compter près de 200 millions de diplômés universitaires en 2030, soit presque autant que l'ensemble de la population active de l'Union européenne en 2009, la qualité de l'enseignement tertiaire reste un enjeu de taille face à la pénurie de compétences que rencontrent nombre d'entreprises chinoises [9]. L'objectif des autorités est notamment d'attirer ou de faire revenir les talents à hauts potentiels chinois vivant à l'étranger (quelque 500,000 chercheurs chinois entre 2011 et 2015) mais cela nécessitera également une réforme de l'éducation afin de favoriser l'innovation.

La Chine est entrée dans une seconde phase de transition économique. Son enjeu principal, d'une ampleur considérable, est la recherche d'une croissance stable, une croissance qui doit se faire sur un modèle économique avancé, mécaniquement appelé par l'augmentation du niveau de vie et le développement d'une société de consommation de taille continentale. La capacité de la Chine à résoudre ces problèmes structurels et à accélérer le réajustement de son économie sera déterminante pour l'avenir et l'équilibre du pays, mais également pour les intérêts de l'Europe, son premier partenaire commercial. Or, face au rééquilibrage de l'économie mondiale, au rattrapage des grands émergents et à la crise économique actuelle, l'Europe doit elle aussi opérer une transition : celle d'asseoir une meilleure compétitivité, une vision plus politique et une maîtrise stratégique de sa propre échelle continentale.
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