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 Haiti-Refondation.org

Rapport de la Commission spéciale d’enquête sur la mort troublante du Juge Jean Serge Joseph (2ème partie)

, 15:58pm

Publié par haiti-refondation-org

Analyse des Données recueillies lors des Auditions des Témoins et Acteurs de l’Evénement

De l’analyse des données fournies par les témoins et acteurs de l’évènement entendus à l’occasion des auditions tenues tant au sénat de la république que dans d’autres espaces selon la personne à auditionner, sa disponibilite et le degré de sérennité nécessaire pour l’audition et le déroulement de l’enquête en général. Les différents témoins et acteurs auditionnés nous ont permis de comprendre qu’à partir du mardi 02 Juillet 2013, le juge Jean Serge Joseph, ayant pris la décision de citer à comparaitre des grands commis de l’Etat, a donné une impulsion toute particulière à une affaire en apparence banale, mais qui avait toutes les possibilités d’imposer un virage à 180 degrés aux faits et gestes légaux et politiques en Haiti. Il faut signaler que dès le départ, la famille présidentielle a pris très au sérieux la dénonciation portée par maitre Newton Louis Saint Juste devant le commissaire du gouvernement de Port-au-Prince, maitre Jean Renel Senatus, faisant état de corruption et de concussion aux plus hautes sphères de l’Etat, indexant à l’occasion l’épouse et le fils du président de la République.
La présidence s’est retrouvée dos au mur quand « la femme de Cesar a été vue nue. » Il fallait sortir de l’impasse. Et pour ce faire, tous les moyens étaient corrects et toutes les troupes étaient mobilisées.
Une affaire qui peut paraitre simple aux yeux de celui qui ne sait pas trop ce que sont les méandres de la politique. Mais compliquée pour qui sait lire avec des lunettes psychologiques les actions et réactions politiques dans un état dominé par le grand banditisme, le mépris du droit et l’indécente impunité. Qui sont-ils les acteurs impliqués dans cette affaire ?
I.- Il s’agit en tout premier lieu de Me Newton Louis Saint Juste. Jeune et brillant avocat de la capitale, il a pris sur lui d’initier une action en justice contre ce qui à ses yeux lui parraissait inacceptable. Beaucoup de personnes en parlaient certes, mais très peu de gens pensaient à faire quoi que ce soit à propos de l’affaire.
II.- Mais l’affaire a vite été classée sans suite par le commissaire du gouvernement d’alors Me Jean Renel Senatus. Elle a rebondi en Septembre et a trainé quelque temps avant de recevoir une impulsion particulière de la part d’un citoyen dénommé Enold Florestal qui a fait une citation au correctionnel.
III.- Quand le 02 Juillet 2013, le juge Jean Serge Joseph, en charge de l’affaire a sorti son jugement avant dire droit, un peu tout le monde a commencé à pressentir une tempête juridico-politique. Suivent quelques jours plus tard l’appel de Me Vandal et du commissaire Délille. Mais on se souviendra que l’affaire n’a pas été rien qu’une simple action en justice. C’était une affaire éminemment politique. Alors des moyens politiques devaient etre utilises pour obtenir des résultats probants.
IV.- C’est ainsi qu’entreront en jeu les grands négotiateurs qui a partir du mardi 09 Juillet 2013 imprimeront un autre cours a la reponse de la famille presidentielle. Dans cette saga juridico-politique, certains se positionnaient pour marquer des points politiques, alors que d’autres se trouvaient en position de perdre de serieux points politiques : mais tous sur le terrain du droit. Alors, ceux qui envisageaient la possibilite de perdre des points avaient tout de suite compris qu’il fallait utiliser meme en apparence le terrain du droit pour éviter de perdre. L’avocat de la famille présidentielle ayant fait une piêtre prestation raconte-t-on, il fallait dans cette opération à la fois étriquee, compliquée et périlleuse faire appel aux gros cylindrés. 
Aussi, les services d’un grand cabinet ont été requis pour agencer et coordonner les lignes d’attaque de l’équipe menée au score.
V.- Le rôle du cabinet de Me Gary Lissade doit être compris dans sa dimension historique. Ce cabinet a déjà été utilisé par les services gouvernementaux quand il fallait exercer des pressions sur le commissaire du gouvernement de Port-au-Prince d’alors Me Lionel Constant Bourgoin. Il avait été demandé à celui-ci de proceder à l’arrestation de Mr Gaillot Dorsainvil, ancien président du Conseil Electoral Provisoire qui avait organisé les élections aux cours desquelles Mr Michel Joseph Martelly est parvenu à la présidence du pays. C’est dans ce cabinet qu’a eu lieu la reunion à laquelle avaient participé le Premier ministre d’alors (Gary Conille), son ministre de la Justice (Michel Pierre Brunache), son ministre des Affaires etrangeres (Laurent S. Lamothe), le commissaire du gouvernement près le Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince (Lionel C. Bourgoin), etc. Ce cabinet semble être le lieu de prédilection des grands complots contre l’état de droit en Haiti. La commission a eu la chance et le privilège d’avoir l’actuel Premier ministre Laurent S. Lamothe accompagné de plusieurs membres de son cabinet dont Michel Pierre Brunache. Tous ont confirmé avoir participé à une réunion à ce cabinet du temps où l’un était minstre des affaires étrangères et l’autre ministre de la justice. Ils n’ont certes pas precisé les raisons de cette réunion en dehors des locaux de l’administration publique. Mais tout le monde sait que par la suite le commissaire Bourgoin a du démissionner de son poste car il avait refusé de souscrire aux demandes de ses supérieurs du moment.
VI.- L’on comprendra surement quelle expertise ce cabinet a du developper dans la gestion des dossiers gouvernementaux à scandale. Me Lissade, ayant en sa possession un badge de conseiller juridique du président, se doit de justifier son titre et peut être son salaire. Il doit trouver la sortie juridique d’un dossier jugé politique. Mais, y avait-il un détour juridique possible dans un dossier où le juge en charge a déjà émis un jugement avant dire-droit ?
Deux choses sont à retenir ici. A) Le dossier présente une image pas trop propre du président de la République, de sa famille, et de son administration. Il fallait en finir au plus vite pour passer de cette distraction à autre chose. Mais l’affaire allait durer, car les tribunaux étant en vacance avec l’ouverture des assises criminelles le 08 Juillet 2013, l’appel interjeté et par le Parquet et par l’avocat de la famille présidentielle ne serait entendu qu’en Octobre à la réouverture des tribunaux. On courait alors le risque d’endurer le supplice des gorges chaudes pour environ trois mois encore. Donc, il fallait trouver le détour juridique pour sortir au plus vite de l’imbroglio juridico-politique. Ainsi, le ministre de la justice a confirmé au cours de son audition qu’il y avait une sortie juridique simple. Les parties qui ont fait appel feront le retrait de leur appel. Ils adresseront une requête au doyen du tribunal de Première Instance pour lui demander un rejugé. Le doyen prendra une ordonnance abréviative demandant au juge un siège spécial pour entendre l’affaire à nouveau et ainsi obtenir ou bien que le juge se déporte de l’affaire ou qu’il émette un nouveau jugement qui renverrait la famille présidentielle blanchie de l’affront de la plainte. 
VII.- Rien de tout cela ne peut se faire sans l’aval, le support et l’implication du doyen. Voilà pourquoi le doyen Jean Michel est-il devenu le personnage central de l’affaire. L’appel ayant été interjeté le 08 Juillet 2013, le mardi 09 Juillet 2013 le doyen Jean Michel entre en action. Il raconte à la commission que le juge est venu le trouver en son bureau pour lui poser une question. Mais c’était tellement sensible et confidentiel qu’ils ont dû tous les deux quitter les locaux du palais de justice pour aller en parler ailleurs. Ils sont d’abord partis vers les locaux de l’ancien tribunal du travail. Là, le juge déclare ne pas se sentir à l’aise et réclame un espace plus sécuritaire. Ils partent à nouveau vers le restaurant Table de Cajus au Champ de Mars. Ils n’entrent pas dans le restaurant, ils restent dans le vehicule (celui du doyen) dans l’aire de stationnement du restaurant. Aussi n’est-il pas possible de vérifier avec les tenanciers si ces deux clients remarquables avaient été reçus ce jour-là. Mais ils vont en ce lieu secret pour faire quoi ? Le juge, dit le doyen, n’avait qu’une seule question à lui poser : « Aviez-vous reçu des appels des gens du pouvoir exécutif concernant le jugement que j’ai rendu ?» Personne ne comprend en fait pourquoi cette question en apparence anodine n’aurait pas pu être posée au bureau du doyen. Mais en plus, le doyen affirme qu’ils sont restés là dans l’aire de stationnement du restaurant pendant vingt minutes pour cette seule question. Il faut croire comme le chante Garou que : « Le monde est stone.»
Cependant, le récit du juge à ses amis ose être différent de celui du doyen. Pour juge Jean Serge Joseph, il a été conduit à une rencontre avec les avocats de la famille en vue d’être persuadé de rencontrer le ministre de la justice aux fins de trouver une issue à la crise provoquée par son jugement avant dire-droit. Deux jours plus tard, le juge est conduit une fois de plus par le doyen, sans chauffeur ni agent de sécurité au même restaurant, à la même aire de stationnement. Toujours selon le doyen sur demande du juge. Définitivement, le juge doit avoir été victime d’une foudre amoureuse pour cette aire de stationnement. La conversation dure encore une vingtaine de minutes. Le sujet : la même question angoissante du juge.
Mais le récit du juge est différent. Il y a eu progression. Cette fois, il a été sommé de rencontrer le ministre de la justice qu’il a en maintes instances antérieures refusé de rencontrer. Le juge Joseph qui s’était rendu à son bureau ce jour-là mais est reparti très tôt car les locaux du palais de justice étaient pratiquement vides à cause de l’alerte rouge déclarée en raison du passage du cyclone Chantal. Il est retourné chez lui à Cabaret. Peut être pour fuir le doyen qui le harcelait d’appels téléphoniques. Il est environ 13 heures et il parle au téléphone avec son épouse. Le doyen appelle à nouveau, il répond et demande au doyen de lui accorder une heure avant de le rejoindre. Les appels du doyen se multiplient et se font plus pressants. On connait déjà la suite de l’histoire qui a déjà été exposée dans le point 17 de la section relative à la reconstitution des faits.
Que faut-il comprendre de tout cela ?
  1. Que le récit du doyen est confronté à de graves difficultés de cohérence logique. a) Pourquoi un doyen qui a à sa disposition un bureau qui est censé protégé des intrusions des personnes non-invitées aurait-il senti la nécessité d’aller d’abord sur une galerie du local d’un ancien tribunal, et ensuite dans l’aire de stationnement d’un restaurant pour répondre à une simple question d’un juge ? Il est finalement revenu le temps des contes de fée.
b) Pourquoi cette si simple conversation aurait-elle duré vingt minutes quand la réponse monosyllabique à la question du juge n’aurait duré que l’espace d’une seconde ?
c) Pourquoi le doyen qui selon sa propre déclaration n’a pas l’habitude d’appeler le juge, n’est pas un ami proche du juge, l’aurait-il appelé, ne serait-ce qu’une seule fois ce jour-là ?
d) Comment expliquer que le doyen fût longtemps prêt, attendant dans son véhicule en marche l’arrivée du juge, si ce n’est rien que pour répondre à une question du juge aussi pressante et angoissante fût-elle ?
e) Pourquoi ne pas rester dans le véhicule et causer quand ce jour-là le palais de justice était pratiquement presque vide, donc sans grand risque d’être entendu ?
f) Mais, de plus, qu’était-elle cette conversation qui ne pouvait être entendue des intrus ?
g) Et le mardi 09 Juillet et le jeudi 11 Juillet 2013, les réunions qui ont eu lieu dans l’aire de stationnement du restaurant l’ont eu à la mi-journée, pourquoi sont-ils restés dehors et n’ont pas pensé à prendre le lunch ensemble ? Les différents récits du doyen le présentent comme quelqu’un qui pratique souvent les restaurants de la capitale.
h) Mais le vendredi 12 Juillet 2013, pourquoi le doyen qui a toujours été si prompt à répondre aux supplications du juge - qui semble-t-il était obsédé par l’idée que les autorités du pouvoir exécutif auraient pu mettre la pression sur le doyen pour qu’à son tour il la mette sur le juge afin que ce dernier revienne sur sa décision – n’a pas daigné recevoir le juge bien qu’il reconnût que celui-ci se présentât sept ou huit fois à son bureau ? Pourquoi ne l’a-t-il pas appelé ce soir-là bien qu’il recût du juge un numéro supposé inconnu du grand public ?
i) Pourquoi ne l’a-t-il appelé que le samedi 13 Juillet 2013 vers les dix heures AM ? Et pourquoi le doyen a-t-il été si inquiet au point d’appeler plusieurs personnes afin de confirmer la mort du juge ? Ou encore pourquoi ne s’est-il jamais déplacé pour aller voir comment a été le juge durant les heures de son hospitalisation étant donné que dans les jours qui précèdent, il y a eu une telle complicité entre le juge et le doyen ?
j) Comment comprendre la réponse du doyen au juge Morin qui l’a vertement repris pour le fait qu’il a conduit le juge à une réunion au cours de laquelle le juge a été malmené. La réponse dialogique tombait : « Ce n’est pas ainsi que cela s’est passé. Je t’expliquerai plus tard.» De quel ‘cela’ s’agit-il ? Le fait d’être malmené ou celui de conduire le juge à une réunion ? Tout compte fait, il n’a jamais rien expliqué a quiconque.
k) Comment comprendre également que le doyen ait préféré contourner les remontrances de Madame Julien de l’IMED qui lui a reproché d’être à l’origine de la mort du juge par le simple fait de l’avoir conduit à cette reunion où il a été exposé a toutes sortes de pressions et de menaces ? Il a préféré tourner la conversation sur la question des matériels de bureau que Madame devait acquérir pour le tribunal bien que Madame Julien admette qu’elle était si dérangée par la mort du juge qu’elle a éconduit le doyen au cours de cette conversation.
  1. Mais au delà du fait que le récit du doyen ne tient pas logiquement, certains éléments de son récit confirment d’autres points du récit du juge et qui sont contraires à son propre récit des faits.
  2. Par exemple, le doyen admet que c’est lui qui a pris sur lui-même l’initiative d’appeler le juge dans la mi-journée du jeudi 11 Juillet 2013. Fait que le juge rapporte à tous ceux qui on reçu son récit. Ce fait apparemment anodin illustre bien la logique que le juge était pressuré de rencontrer des autorités autour du sujet du procès au correctionnel de la famille présidentielle. De plus, le juge a réfléchi ce matin jeudi 11 Juillet 2013 qu’il lui fallait parler à son épouse avant de se décider d’aller à la réunion. Son accompagnateur (Berlens) en fait un témoignage éloquent. Mais, plus que Berlens, le juge Jean Wilner Morin et Maitre Samuel Madistin confirment avoir été sollicités par juge Joseph pour leur conseil à savoir s’il était sage d’aller à cette réunion. Juge Morin a émis un avis négatif, mais Me Madistin n’y voyait pas d’inconvénient. Juge Joseph partage l’avis de Me Madistin avec juge Morin qui ne se prononce plus sur la question. Pourquoi juge Joseph aurait-il cherché et obtenu les conseils de ses amis sur la question ? C’est qu’il lui a effectivement été demandé d’aller rencontrer des autorités.
Notons en passant, que juge Joseph ne voyait aucun inconvénient à ce qu’il rencontre les avocats de la famille présidentielle. Mais quand la pression montait et qu’on lui proposait de rencontrer le ministre de la justice et autres personnalités du pouvoir exécutif, il a songé à l’indépendance du pouvoir judiciaire qui pouvait alors être mise en cause : il prend des consultations. Quand le doyen fait monter la pression pour dire au juge que les autres attendent, le juge se cramponne à son pouvoir et réclame timidement que ce soit au palais de justice. Mais le doyen insiste, il attend dans son véhicule en marche, il congedie chauffeurs et agents de sécurité, il prend les commandes de l’opération.
  1. Un autre fait en apparence anodin mais révélateur. Le doyen confirme que le vendredi 12 Juillet 2013 le juge Jean Serge Joseph est venu à son bureau sept ou huit fois. Le juge Joseph confirme cette assertion dans son récit aux juges Bernard Saint Vil et Berge O. Surpris. Il leur explique en outre qu’il lui a été demandé de revenir sur sa décision, Pour ce faire, le doyen rendra une ordonnance abréviative le convoquant en urgence pour un siège spécial le mardi 16 Juillet 2013. Il dit au juge Saint Vil qu’il reconnait et respecte sa profonde connaissance du droit pénal haitien et des procédures pénales, quel était son conseil par rapport à la faisabilité de telle action. Le juge Saint Vil réplique qu’il se référait encore au conseil qu’il lui avait donné au tout début de l’affaire. De fait, au cours de cet entretien avec le juge Saint Vil, il confirme avoir été plusieurs fois au bureau du doyen pour retirer l’ordonnance en question. Mais il avoue aussi à ses amis qu’il siégerait ce mardi-là, se déporterait de l’affaire et partirait au Canada avec sa famille. Certains lui avaient conseillé de le faire avant mardi. Alors pourquoi le doyen n’a-t-il pas reçu le juge ce jour-là ? Pourquoi à chaque visite il répondait qu’il n’était pas prêt à le recevoir ? Cette fameuse ordonnance n’était pas encore rédigée ou corrigée ? Pourquoi en quittant le tribunal le juge a-t-il tenu à être joignable pour le doyen jusqu’à lui passer un numéro inconnu du grand public qu’il utilisait pour appeler son épouse?  Pourquoi le doyen n’a-t-il appelé que le samedi matin ? Etait-ce parce qu’à ce moment l’ordonnance était prête ? Et pourquoi n’a-t-il pas daigné rendre visite au juge à l’hôpital ? parce qu’il croyait en ce moment-là qu’il était en train d’être berné par un juge qui feignait une maladie diplomatique pour éviter de siéger mardi ? Pourquoi dans la soirée s’inquiétait-il à confirmer la mort du juge ? Parce qu’il était surpris par un curieux tour de la nature ?
Autant de questions auxquelles la seule réponse est que le doyen a lamentablement menti. Pourquoi a-t-il dû mentir ? Que voulait-il cacher ?
Mais il n’est pas le seul à mentir, le ministre de la justice aussi a menti. Il a essayé d’avancer l’argument farfelu selon lequel une réunion aurait pu se tenir, mais le fait qu’on ait cité son nom comme participant à cette réunion signifie tout simplement qu’il n’y a pas eu de réunion du tout. Cela aurait pu être vrai dans un autre monde.
En effet, le ministre a confirmé sans le vouloir devant la commission qu’il y avait une raison pour que cette réunion ait eu lieu. Pour lui, technicien du droit, il était possible pour le juge de revenir sur sa décision. Comment ?
Les avocats de la famille présidentielle retireraient leur appel. Le commissaire du gouvernement aussi. Ils adresseraient une requête au doyen lui demandant un siège spécial pour un rejugé. Le doyen adresserait une ordonnance abréviative au juge qui prendrait un siège spécial en raison de la vacance judiciaire. Et alors, il pourrait rendre une autre décision. Et c’est exactement ce que le juge Joseph confie à ses collegues juges. Il lui a été demandé cela et rien de plus. Il a consulté le juge Saint Vil pour être conseillé sur la faisabilité de telle action. Cela n’implique pas encore que le ministre ait été présent à cette réunion.Cependant, dans les récits antérieurs à la réunion, le juge a confié à tous ses confidents que le doyen avait voulu qu’il rencontrât le ministre de la justice. C’est ce qu’il a confié à son épouse, à juge Morin, à Me Madistin. C’est ce qu’il a confié après la réunion à ceux auxquels il a raconté sa mésaventure. Au juge Morin il déclare : « Si j’avais suivi ton conseil, je n’aurais jamais essuyé tant d’humiliations.» A Madame Julien de l’IMED qui ne pouvait croire ses oreilles il confie : « Ces gens m’ont malmené. Seul Me Lissade a été tendre avec moi.» Quand Madame Julien insiste : « Et le ministre ? »  « Il n’a pas été aussi arrogant que le president, mais il insistait pour trouver une solution juridique acceptable» répond-il. A son épouse inquiète qui s’enquiert : « Ne me dis pas qu’après que ces gens t’aient aussi malmené, tu as mangé avec eux ?» Et lui de répondre : « Il n’y avait rien à manger, j’ai simplement partagé un coup avec eux.»
Le ministre de la justice Me Jean Renel Sanon était bel et bien présent à la réunion.
Le président de la République aussi a menti. Il affirme qu’il n’avait pas à prouver qu’il n’était pas à la réunion mais qu’il revenait à ceux qui affirmaient le contraire de le prouver. Cela laisse supposer qu’il était là mais qu’il était la mais que tout le monde a reçu l’ordre de mentir à son sujet, et qu’ainsi personne n’allait pouvoir prouver qu’il était effectivement physiquement présent à cette reunion.
On se rappelle que dans le compte-rendu des auditions un rappel avait été fait quant au comportement du ministre de la justice qui n’a pas daigné informer le directeur général de la Police qu’il devait se faire accompagner par les responsables de l’USPN, l’USGPN, la CAT TEAM, le responsable de la sécurité présidentielle. Il ne l’a pas fait, essayant de soustraire ces responsables détenteurs de précieuses informations quant au calendrier des déplacements du président de la République. Par exemple, un des témoins raconte que le lundi 08 Juillet 2013, en rentrant à Port-au-Prince, le juge a été stoppé sur la route nationale # 1, à hauteur de l’Arcahaie, par une véhicule tout terrain, pick-up de couleur blanche. Il s’est arrêté un peu plus loin que l’autre véhicule qui se positionnait dans la direction du Nord mais sur le côté de la circulation allant vers le Sud. Ainsi, les deux véhicules se trouvaient sur le côté de la circulation allant vers le Sud. Alors, le tout terrain de couleur blanche qui se positionnait vers le Nord a fait demi tour et est revenu s’arrêter juste à côté du véhicule du juge. Le chauffeur fait baisser sa portière droite et s’adresse au juge qui a fait baisser sa portière gauche : « Tu m’empêches de dormir, pas vrai?» Une conversation s’ensuivit au cours de laquelle de sérieuses menaces ont été proférées à l’égard du juge. Il arrive que ce chauffeur a été identifié comme étant le président Martelly lui-même. Il était au volant et avait deux agents de police en uniforme de l’USGPN à l’arrière. L’un d’eux a photographié les trois occupants du véhicule du juge. Après la série d’injures et de menaces, le véhicule est reparti vers le Sud, mais le juge eberlué ne pensait qu’à sa mort. Il a confié à son agent de sécurité Johnny et à son cousin Berlens qu’ils étaient sur le point de mourir. Ce jour-là, le juge qui ordinairement allait à son bureau en longeant la Route Neuve, puis le Boulevard La Saline et l’Avenue Harry Truman jusqu’au palais de justice au Bicentenaire, a du emprunter la nationale # 1 jusqu’au centre-ville évitant ainsi la Route Neuve puisque le chauffeur du véhicule de l’Arcahaie lui avait dit : « Je m’informe de tous tes déplacements, de tes horaires, et de tes démêlés. Tu ferais mieux de régler cette affaire au plus vite pour que ma famille retrouve son calme. Tu ne sais pas que j’aime mon épouse et mes enfants ? »
Alors, ce qui ressort de cette hypothétique rencontre, c’est ce qui a été dit plus tôt : la famille présidentielle était vraisemblablement paniquée. Aussi, le président a-t-il pris sur lui-même de régler cette affaire qui l’empêchait de dormir. Toute l’équipe de ceux qui étaient de bons et loyaux serviteurs a été mobilisée pour régler cette affaire au plus vite. C’est aussi pourquoi le président ne pouvait supporter de laisser le ministre de la justice opérer tout seul. Les divers témoignages recueillis aux abords du cabinet de Me Lissade confirment qu’un nombre imposant de véhicules généralement faisant partie du cortège de la présidence était constaté en position de stationnement dans les parages du cabinet. Une pauvre femme qui généralement tient son commerce dans les parages dit en avoir dénombré dix-huit. Mais pire, une polémique a suivi une phrase apparemment anodine du président qui disait : «Je ne sais pas si le Premier ministre était présent, comme c’est tout près de ses bureaux au ministère de la planification. Moi, je n’y étais pas.» Pourquoi celui qui a dit qu’il revenait aux autres (ses accusateurs) de prouver qu’il était présent à la réunion a-t-il tenu à faire cette remarque. Serait-ce pour nuire au Premier ministre ou se dedouaner ? Il n’aurait pas besoin de se dedouaner si la responsabilité de la preuve incombe aux accusateurs. Surement, il était inquiet qu’il pouvait être surpris et que de la sorte il voudrait impliquer le premier ministre à sa place. Il n’était pas totalement certain que la mort du juge pourrait enterrer ses agissements pour le moins suspects. Un proche du premier ministre a repondu à la boutade du président en déclarant n’être pas trop certain que le premier ministre aurait l’habitude d’utiliser le cortège du président. Tout cela, ne fait – au-dela des récits du juge- que confirmer la présence du président à cette réunion. Soustraire les responsables de la sécurité du palais national et du président de la République au questionnement de la commission n’a qu’un seul objectif : barricader les acteurs les plus vulnérables pour les empêcher de laisser fuiter des informations précieuses et embarassantes. Mais le crime parfait n’existe vraiment pas.
Quant au premier ministre, il a déclaré tout de go devant la commission qu’il n’avait jamais eu la chance de rencontrer le juge. Cela aurait pu être vrai. Mais toujours dans un autre monde.
Comment explique-t-il le fait que Mr Leon Charles ait été rappelé de Washington pour entreprendre une mission de bons offices visant à persuader Mr Florestal qu’il laisse tomber sa plainte, qu’il la retire et abandonne l’affaire. Devant le refus de Mr Florestal, sa première réaction a été d’appeler le premier ministre pour le mettre en contact avec Mr Florestal. Le premier ministre a offert à Mr Florestal de l’argent et un poste à l’exterieur du pays. Florestal refuse toujours et Léon Charles est parti.
Pourquoi le premier ministre avait-il cru bon de s’impliquer dans cette affaire quand il a lui-même déclaré à la commission qu’il avait suivi l’affaire comme tout citoyen en laissant le soin à la justice de sévir ? Mais pourquoi a-t-il été si évasif quant à son occupation du temps ce jeudi 11 Juillet 2013? Si toute l’équipe devait se montrer loyale et solidaire du président pourquoi se serait-il soustrait à ce petit devoir familial ? Pourquoi aussi avait-il si peur de la commission qu’il a du se faire accompagner de six des membres de son cabinet ? Pourquoi n’a-t-il jamais soumis cette copie du procès-verbal du conseil des ministres de la veille qui lui a été réclamé et qui aurait permis à la commission de vérifier les points à l’ordre du jour et leur relation avec cette épineuse affaire de procès contre la famille présidentielle ? Là encore, on comprend que le premier ministre non plus ne dit pas la vérité sur le sujet.
CONCLUSIONS
Tout compte fait, il s’est avéré que la commission s’est retrouvé devant une forteresse de mensonges. Mais, il n’y a pas de forteresse imprenable, il n’y a que des stratégies inappropriées.
La commission a fait de son mieux et a réussi à percer les remparts de refus et de mensonges qui étaient érigés devant elle. Elle a pu reconstituer les faits à partir des nombreux témoignages recueillis des personnes qui avaient senti l’obligation de confier à cette commission ce qu’elles savaient et qui d’après elles pourraient aider à faire jaillir la lumière sur les circonstances qui ont entouré la mort du juge Jean Serge Joseph, en charge de l’affaire opposant au correctionnel le citoyen Enold Florestal, d’une part ; et l’épouse et le fils du président de la République, d’autre part, pour les faits qualifiés de corruption et d’usurpation de fonction qui leur sont reprochés. La commission a découvert :
  1. Le juge Jean Serge Joseph, agissant en toute indépendance, a émis le 02 Juillet 2013 un jugement avant dire-droit dans cette affaire, lequel jugement met en cause la responsabilité d’un certain nombre de grands commis de l’Etat dont le premier ministre.
  2. Cette décision a ébranlé les bases de la forteresse de concussion en mettant à nu les velléités d’un pouvoir autoritaire et corrompu.
  3. Tous les joueurs vedettes de l’équipe ont été mobilisés aux fins d’enterrer au plus vite l’affaire car elle avait commencé à gagner en ampleur et l’administration avait commencé à perdre en crédibilité.
  4. La première étape de l’offensive de l’administration a consisté à obtenir du plaignant qu’il retire sa plainte et accepte les prébendes qu’on lui proposait.
  5. Devant l’échec de pareille offensive, le pouvoir s’est retourné vers le juge lui-même, abandonnant la manière bâton et carotte pour adopter une politique impériale du Sic volo, sic jubeo, sic pro ratione voluntas. Le juge doit donc faire ce que veut le pouvoir exécutif.
  6. Des pressions et menaces de toutes sortes ont été exercées sur le juge Joseph pour qu’il revienne sur sa décision.
  7. L’expertise du cabinet Lissade a été mise à profit pour préparer la face (ou farce) juridique du projet de baillonnement de la justice et de toutes les institutions républicaines.
  8. Le doyen du Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince a servi de pivot central au projet de la présidence en participant à toutes les combines et autres actes de délations devant conduire à cette fameuse confrontation du juge avec les plus hautes autorités exécutives du pays.
  9. Le jeudi 11 Juillet 2013, une réunion s’et tenue au cabinet de Me Gary Lissade. Le doyen Me Raymond Jean Michel a conduit lui-même le juge Jean Serge Joseph à cette réunion.
  10. Au cours de cette réunion, le juge Joseph a été soumis à d’intenses pressions et menaces pour le porter à accepter d’ouvrir un siège spécial afin de revenir sur la décision du 02 Juillet 2013.
  11. N’ayant pas examiné la these de l’empoisonnement qui, même si elle était prouvée, serait difficile à circonscrire dans l’espace et le temps, la commission a acquis la conviction que les menaces et pressions ont eu gain de cause de la vie d’un juge honnête mais fragile.
  12. L’hémorragie intra-parenchymateuse diagnostiquée serait la conséquence directe d’une forte soumission à d’intenses pressions psychiques.
  13. Le juge n’ayant jamais été diagnostiqué comme souffrant de problèmes métaboliques (hypertension artérielle, hyperglycémie, etc), les médecins de l’Hôpital Bernard Mevs ont conclu que la très forte tension artérielle constatée chez le patient à son admission à l’hôpital est peut-être le résultat d’une hypertension intra cranienne qui elle-même peut avoir été le résultat d’un stress immense.
  14. La commission conclut au fait que le président de la République, le premier ministre, le ministre de la justice, le doyen du Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince ont tous menti tant à la commission qu’à la nation.
  15. La commission finalement conclut que tous ceux qui ont contribué à l’organisation de la réunion, participé à la réunion, menti à propos de la réunion au cours de laquelle le juge Jean Serge Joseph a été torturé jusqu’à ce que mort s’ensuive, sont à des degrés divers reponsables de la mort du juge. Il demeure entendu que seul l’appareil judiciaire aura à établir les degrés de responsabilité de chacun dans la mort du juge Jean Serge Joseph.
RECOMMANDATIONS
Fort de ces conclusions, la commission recommande que :
  1. Le doyen du tribunal de Première Instance de Port-au-Prince soit traduit par devant le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ)  comme le premier suspect dans cette affaire avant d’être limogé et livré à la justice haitienne aux fins de droit.
  2. Le présent rapport soit transféré à la chambre des députés aux fins utiles.
  1. La Chambre des députés prenne toutes les dispositions que de droit aux fins de :
a) Constater l’immixtion du chef de l’Etat, du premier Ministre et du Ministre de la justice dans l’exercice souverain du pouvoir judiciaire aux fins d’obtenir que des décisions de justice soient prises en leur faveur.
b) Déclarer le caractere parjure de ces autorités du pouvoir exécutif qui ont tous nié leur participation à la réunion du 11 juillet 2013 alors que l’enquête confirme leur participation effective à ladite rencontre.
c) Constater la trahison du chef de l’Etat qui avait juré de faire respecter la Constitution et les lois de la République
d) Mettre en accusation le chef de l’Etat pour crime de haute trahison.
4) Le premier ministre et le ministre de la justice soient mis en accusation et renvoyés de leur fonction.

 

  1.  Le présent rapport soit transféré au Parquet du Tribunal civil de Port-auPrince et au CSPJ aux fins utiles de droit.
6)  Le CSPJ soit renforcé par
a) l’amendement de la loi du 4 septembre 2007 portant création du Conseil
Supérieur du Pouvoir Judiciaire ;

 

b) le vote d’une loi portant création d’une structure contrôlée par le  CSPJ, chargée de collecter et de gérer les amendes prononcées par les Cours.
c) La prise en charge de la gestion financière des Cours et Tribunaux par le CSPJ.
7) La préparation et l’adoption d’une loi sur les enquêtes parlementaires.
8) La préparation et le vote d’une loi sur le parjure.
9) L’action publique soit mis en mouvement contre Gary Lissade pour recel.
Fait à Port-au-Prince le 06 Juillet 2013, An 210e de l’indépendance.