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 Haiti-Refondation.org

LA PROBLÉMATIQUE DES ÉLECTIONS EN HAÏTI

, 20:48pm

Publié par haiti-refondation-org

LA PROBLÉMATIQUE DES ÉLECTIONS  EN HAÏTI

ELECTIONS-fraudes 6  Bourrage d'urnes (1)

L'histoire d'Haïti, au cours de la période post-duvalier, est marquée particulièrement par une méconnaissance  des  règles du jeu démocratique. Certains faits sociaux et politiques traduisent dans leurs effets une situation chaotique qui va à l'encontre même de toute perception primaire de la démocratie. En effet,  l’inexistence de véritables institutions démocratiques, l’utilisation de la violence, le rejet des élections, la transgression de l’autorité, l’échec des différentes missions de négociation  entreprises  depuis  juillet  2000  par  l’O.E.A.,  la  CARICOM  et  la  société  civile haïtienne dans les conflits opposant le parti au pouvoir et la coalition des  principaux partis d’opposition, et la permanence de la crise politique qui en découle, conduisent à poser la question suivante : Y a-t-il une transition démocratique en Haïti ?
Dans la perspective d’apporter des éléments de réponse à cette question  principale de recherche, trois  hypothèses de travail sont postulées :
1.  La longue et périlleuse transition démocratique que connaît la République d’Haïti est due à l’inadéquation existant entre le caractère trop démocratique de la Constitution de 1987 et la précarité des conditions socio-économiques du pays.
2.  Le  non-respect  des  règles  démocratiques  par  les  hommes  politiques  haïtiens  est intimement lié à  l’esprit de domestication de la population qui résulte à la fois de l’héritage colonial (le système esclavagiste) et du maintien de l’analphabétisme.
 3.  Les conflits, résultant des différentes élections réalisées après le retour à l’ordre constitutionnel en octobre 1994,  sont intimement liés au poids des traditions et de la culture politique qui pèsent sur les idées et les comportements des acteurs.
Le passage de l’autoritarisme à la démocratie fait l’objet d’études de nombreux chercheurs de diverses branches des sciences sociales. Cette abondante littérature sur les processus de transition, est à la fois utile et nécessaire pour la mise en relief des traits généraux et particularités marquant les différents mouvements de changement politique de la fin du 20ème  siècle. Dans le cadre de cette étude sur les élections dans la transition démocratique en Haïti, on retiendra en particulier, les travaux de Juan Linz, de Guillermo O’Donnel, de Phillipe C. Schmitter, de Leonardo Morlino, d’Adam Przeworski et Samuel P. Huntington sur les concepts de transition et de consolidation de la démocratie, ainsi que ceux des auteurs haïtiens comme Claude Moïse, Laënnec Hurbon, Leslie F. Manigat, Gérard Pierre-Charles, S. Etienne, Kern Delince,  etc.,  sur la chute du régime des Duvalier, le poids de l’histoire dans les processus de libéralisation politique en Haïti, les obstacles à la construction de la démocratie dans ce pays ainsi que certaines références telles que : la constitution de 1987, les décrets et lois électorales et les documents et rapports.
La situation de crise aiguë que connaît le pays telle : les revendications sociales, la mobilisation populaire, le choc  des intérêts et la lutte pour le pouvoir affaiblissent les "institutions" de la démocratie  représentative  et  le  système  politique  implanté  par  les  Etats-Unis.  Le  général Kébreau, face à cette situation chaotique, réalise le 15 juin 1957 le coup d’Etat contre le leader charismatique  Fignolé,  président  provisoire  ;  il  organise  d’une  main  de  fer,  les  élections présidentielles du 22 septembre de la même année au bénéfice de François  Duvalier. Avec l’utilisation de la violence aveugle, des méthodes de répression devenues légendaires, la dictature des Duvalier s’est révélé la plus féroce d’Amérique Latine et des Caraïbes. Avant de mourir, en1971 il désigne  son fils Jean-Claude âgé de dix-neuf ans pour le remplacer; il sera renversé en 1986 par un large mouvement populaire appuyé par une partie notable du Clergé catholique. Le 29 mars 1987, Le peuple haïtien a approuvé la constitution de 1987 sur le mode mineur et émotionnel parce qu’il appuyait la sanction de l’article 291 qui frappait les duvaliéristes et, de manière plus imprudente, parce qu’elle consacrait les espérances de 1986.
L’article 291, élément non négligeable dans la motivation citoyenne pour la première consultation électorale démocratique de 1987, semble être la première explication possible au massacre du 29 novembre  1987  orchestré  par  les  duvaliéristes  avec  la  complicité  du  Conseil  National  de Gouvernement (CNG).   En effet, la première  consultation électorale (novembre 1987) de l’ère démocratique en Haïti, opposant les conservateurs (les Forces Armées d’Haïti et les duvaliéristes) et le Front National de Concertation (FNC), qui regroupait 57 organisations socio-politiques, et les  autres  partis  politiques  s’est  transformé  en  un  massacre.  Cette  mise  en  garde  contre l'apprentissage démocratique semble favoriser un retour à ce que Hobbes appelle «l'Etat de nature» caractérisé par des gouvernements militaires successifs.
Le système politique où l’armée est source de pouvoir est formellement et réellement inégalitaire, écrit [Lahouari Addi,1999 p.225], et ne peut fonctionner avec un minimum de paix civile que s’il se structure autour d’une personnalité charismatique dans laquelle se projettent les membres de la communauté nationale. Cette approche théorique a de 1990 à 2002 ouvert un champ d’application en Haïti avec l’élection du Père Aristide à la présidence de la République.  La praxis des fidèles d’obéir à leur directeur spirituel peut néanmoins orienter le concept de «paix civile» avancé par Lahouari Addi vers celui de domination et plus particulièrement vers le concept de «domination charismatique»  souligné  par  Max  Weber  [1995].  Faudra-t-il  souligner  dans  le  cas  haïtien l’habitude développée dans le pays à savoir celle d’identifier les dirigeants en termes familiers et même familiaux :  «Papa Pétion» dont on rapporte que la nation avait pleuré la mort, «Tonton Nord (Oncle Nord)», «Papa Vincent», «Papa Doc» et jusqu’aux récents surnoms de «Titime» (Estimé),  «Titide»  (Aristide) ?  On  ne  peut  penser  que  de  telles  pratiques  visent  à  réduire psychologiquement la distance que l’exercice du pouvoir établit normalement entre les citoyens et leurs dirigeants ; elles traduisent aussi une sorte d’infantilisation de la population en vue de sa domination. Dans les structures où le fait démocratique connaît une transition assez longue, de telles pratiques peuvent entraver la consolidation de la démocratie en favorisant l’établissement d’un  climat  de  conflit  social  entre  la  population  et  les  autres  forces  politiques  d’idéologie différente qui s’opposeraient aux idéaux du dirigeant charismatique.
Le retour à l’ordre constitutionnel en octobre 1994 – consécutif à la démobilisation de l’armée - offre de nouveaux champs d’application à l’établissement définitif de la démocratie en Haïti. La démocratie  impose  «l’autorité  de   la   loi  plutôt  que  celles  des  hommes.  Les  dirigeants démocratiquement élus doivent perdre l’habitude de se placer au-dessus de la loi 2. Mais quelles sortes de transgressions de la loi sont suffisamment sérieuses pour que l’on s’inquiète de la santé démocratique d’un régime ? Assurément, toute transgression commise ouvertement, de manière répétée et à l’abri de poursuites judiciaires» [Schelder A. 2001 p.230]
En effet, chaque élection réalisée dans le pays se fait sous la direction   d’un nouveau conseil électoral provisoire. Car si l’on se réfère aux dispositions transitoires de la loi mère, toutes les élections qui ont succédé  la consultation électorale de 1987 devraient être réalisées sous la direction d’un conseil électoral permanent. La seule institution, qui devait assurer depuis 1988 la direction et  la  gestion  des  élections  haïtiennes,  et  dont  l’absence  volontaire  ou  involontaire semble devenue aujourd’hui une entrave à la cohésion sociale. En Haïti, le seul moyen pour un pouvoir  d’être  à  l’abri  de  poursuites  judiciaires  est  le  contrôle  du  parlement.  La  mise  en accusation du Président de la République, du Premier Ministre, des Ministres et des Secrétaires d’État et d’autres dignitaires de l’État pour crimes de haute  trahison ou tous autres crimes ou délits commis dans l’exercice de leurs fonctions, ne peut être prononcée que par la chambre des députés à la majorité absolue des deux tiers de ses membres ; et seul le sénat peut s’ériger en Haute Cour de Justice,  jusqu’au prononcé de la décision. De ce fait, on peut avancer sous la base d’hypothèse  à  vérifier  que  toute  la  problématique  posée  par  les  élections  de  2000  dans  la transition démocratique en Haïti se trouve installée dans un esprit de contourner les prescrits de la constitution, par l’occupation de tous les espaces du pouvoir.
ELECTIONS- URNES fraudes 5                Bourrage d'urnes (2)
Pour qu’une démocratie se consolide, plusieurs chercheurs posent la nécessité de l’existence d’un large  consensus  démocratique,  au  sein  duquel :  «tous  les  groupes  politiques  importants  … adhèrent aux règles du jeu démocratique», «aucun acteur national, social, économique, politique ou  institutionnel  n’investit  des  ressources   significatives  en  vue  de  créer  un  régime  non démocratique répondant à ses objectifs», «aucun des acteurs collectifs ne remet en question la légitimité des institutions démocratiques», «personne ne peut [même] imaginer agir en dehors du cadre des institutions démocratiques»
 En Haïti, le consensus démocratique entre le pouvoir, les différents partis politiques et l’élite dirigeante se fait uniquement au moment de la formation des conseils électoraux provisoires. Une fois que les forces politiques en présence se sont mises d’accord sur la formation du conseil, le pouvoir reprend son caractère privé et ne défend que les intérêts du groupe qui le constitue. Les élections de 1995 résultant de la fin du mandat des députés de  la 45ème  Législature, de 18 sénateurs, des maires et Conseillers des sections Communales (2192 postes  électifs) se sont déroulées sous le signe de ce qu’on pourrait appeler «un consensus démocratique». Cependant, le contrôle excessif exercé par le président Aristide et ses proches collaborateurs entraîne un malaise au sein même  de  la   coalition  Lavalas,  occasionnant  des maladresses  du  pouvoir  Exécutif  qui provoqueront entre autres le rejet des élections du 25 juin 1995 par l’opposition et le boycott du second tour, réalisé le 17 septembre de la même année.

 

 Le sénateur contesté Fourrel Célestin (avec lunettes) issu des élections legislatives contestées de 1995 avec le bandit-détrousseur surnommé Général Titi et Jean Bertrand Aristide

Le sénateur contesté Fourrel Célestin (avec lunettes) issu des élections legislatives contestées de 1995 avec le bandit-détrousseur surnommé Général Titi et Jean Bertrand Aristide

Les élections du 6 avril 1997, en plus du renouvellement du tiers du sénat (9 sénateurs)  et de deux députés, permettraient la constitution des 556 Assemblées des Sections Communales, des 133 Assemblées  et  des  9  Assemblées  Départementales  ainsi  que  la  constitution  du  Conseil Interdépartemental  et du Conseil Electoral Permanent (CEP). L’abstention de l’opposition va mettre face à face les deux  principales organisations du mouvement Lavalas ; l’Organisation Politique Lavalas (O.P.L.) et La famille Lavalas (F.L.)  Ce processus électoral donna lieu aussi à une crise de régime et de gouvernabilité.
 Le 21 mai 2000, les élections qui devraient élire 83 députés, 17 sénateurs et l’ensemble des membres constituant les pouvoirs locaux au niveau national, sont gagnées  par le parti au pouvoir à  la  majorité  absolue  mais  elles  sont  contestées  par  l'opposition.  La  Mission  d'Observation Électorale de l'Organisation des États  Américains (OEA), sans invalider les élections a mis en cause  la  méthodologie  employée  par  le  Conseil  Électoral  Provisoire  (version  1999)  pour déterminer les pourcentages de vote provoquant ainsi une crise à la  fois sociale, politique, et économique assez importante.
Malgré la  demande  de  la  résolution  de  la  crise  électorale  du  21  mai  par  la  Communauté Internationale, les élections sénatoriales et présidentielles de novembre 2000 ont été boycottées par l’opposition et remportées à la majorité absolue par le parti au pouvoir. Ces transgressions répétées vont une fois encore aggraver  la crise jusqu’à provoquer un blocage des fonds alloués à Haïti par le Fonds Monétaire Internationale (FMI), la Banque  Mondiale et les coopérations bilatérales  car  comme  le  souligne  Schelder,  elles  peuvent  «porter  atteinte  à  la  santé  de  la démocratie»
La grande aventure démocratique, souligne Simone Goyard-Fabre «est lourde à assumer». La transition vers un régime démocratique est un processus long et incertain. Les soubresauts qu'a connus  la  France  aux  XIXe  et  XXe  siècles  le  démontrent  amplement.  Les  changements institutionnels - souvent accomplis dans la violence -  n'ont que graduellement et difficilement enraciné la République. L'enracinement de la République Française n'a été possible que par un travail long, profond et volontariste portant sur les mécanismes institutionnels bien sûr,  mais aussi sur l'éducation (les lois scolaires de la IIIe République).
L’apprentissage de la démocratie semble exiger une prise en charge de l’avenir par la mise en place  d’institutions devant assurer la pérennité du fait démocratique. La décision finale de la Cour Suprême des  États-Unis aux conflits opposant les partis républicain et démocrate sur les élections présidentielles de novembre  2000 et l’acceptation par les candidats Bush et Gore de cette  décision  est  l’un  des  plus  grands  exemples  sur  le  rôle  des  institutions  dans  le  jeu démocratique.
 L’analyse  de  certains  faits  observés  en  Haïti :  l’avortement  des  premières  élections  post- autoritaires de novembre 1987, les différentes dictatures militaires de la période 1986 – 1991, le coup  d’état  sanglant  de  1991,   l’intervention  de  puissances  militaires  étrangères  pour  le rétablissement de la démocratie, l’absence en 2002 des institutions prévues par la Constitution de 1987 et les différentes crises post-électorales de 1995-2000, laissent croire que les règles du jeu démocratique  haïtien ne sont pas encore bien installées dans l’espace politique de ce pays. L’absence d’un nouveau pacte social rend difficile l’étude d’un «consensus socio-politique», ce qui ne permet pas aujourd’hui de considérer  une  analyse théorique sur l’applicabilité de la«consolidation de la démocratie» au cas haïtien.
Des exemples de Transition : Uruguay, Philippines, Chili
L'expérience de l'Uruguay
L’histoire démocratique de l’Uruguay remonte du début du XXe siècle et s’est inscrite très tôt dans une perspective sociale-démocrate à l’Européenne et repose sur des clivages partisans qui demeurent solides et cohérents en dépit de la mainmise des militaires sur le gouvernement.
1983 –1984 marque la période au cours de laquelle le changement politique a eu lieu en Uruguay. Cette  transition,  déroulée  sous  des  auspices  meilleurs,  a  été  possible  grâce  à  la  prise  de conscience  des  généraux  et  amiraux  de  l’armée  qui  se  réclament  eux  aussi de  l’histoire démocratique de ce pays. Leur mainmise sur le gouvernement n’a pas eu d’autre explication qu’une mesure provisoire dictée par une menace d’effondrement de l’Etat. Cependant, attachés à la logique  démocratique, les généraux ont fini par conclure non seulement un pacte «Club Naval » avec les représentants des partis mais aussi rappeler les cadres syndicaux exilés afin pour un  dialogue social seul capable de canaliser l’impatience des salariés dont le pouvoir d’achat  a diminué de moitié en quelques années »[Hermet 1996, p.61]. La démocratisation de l’Uruguay fournit  l’exemple  parfait  d’une  transition  concertée,  et  non  pas  simplement  octroyée  puis légitimée [Hermet 1996, p.61].
L'expérience des Philippines
La  transition  démocratique  des  Philippines,  ancienne  colonie  espagnole  jusqu’en  1898,  se rapprochent par  ces traits des sociétés de l’Amérique latine. Cependant, obéit avant tout à une dynamique inspirée par les États-Unis, le processus de changement politique amorcé par ce pays en 1986 diffère complètement de ceux des pays sud-américains. Selon Guy Hermet «la qualité démocratique du régime restaurée » pose un problème.  C’est-à-dire à en croire l’auteur, il est plutôt  question  d’une  restitution  de  pouvoir  à  l’oligarchie  terrienne  et  financière  malmenée autrefois par le dictateur Marcos. La manière dont a été effectué le changement politique  aux Philippines  ne  laisse  aucun  doute  qu’il  puisse  exister  une  corrélation entre  la  réussite  d’un changement politique et la densité d’une population.
L'expérience du Chili
Les expériences démocratiques du Chili, bien qu’elles recoupent un peu celles de l’Uruguay par la manière dont  fut amené le processus de transition politique, n’ont été possibles que par la volonté des chiliens de préserver leur croissance économique et non à cause de la densité de sa population.
En effet, le général Pinochet, bâtissant sa dictature à partir d’un dispositif constitutionnel depuis 1980 sous le couvert du suffrage universel. Il organise en 1988 le nouveau plébiscite pour obtenir la prorogation de  son mandat présidentiel. Il se trouve que ce nouveau plébiscite tourne à son désavantage (45% pour-55%contre). Il a fallu attendre 1990 pour que les présidents de tendance démocrate-chrétienne Aylwin puis Frei arbitrent «une  transition   qui présente à deux niveaux quelques similitudes avec celle de l’Espagne.
La Transition haïtienne
L’effondrement  du régime des Duvalier, le 7 février 1986 marque un tournant décisif dans le système  politique  haïtien.  Ce  changement  politique  suscite  de  nombreuses  controverses,  de disputes et de violences entre les différents acteurs de la classe politique haïtienne. La transition haïtienne,  «résultat»  d’une  rupture  violente  avec  les  structures  dictatoriales  de  Duvalier  qui s’étend sur une période considérablement longue, est pour de nombreux observateurs de la classe intellectuelle haïtienne une «transition illimitée».
La transition haïtienne est une transition en dents de scie, une transition  chaotique. Il y eut à la fois continuité et rupture dans le processus de changement politique.  Contrairement  à  l’affirmation  de  O’Donnell,  la  mobilisation  populaire  ne  fut  pas éphémère dans le cas haïtien, malgré la  répression sélective, massive et parfois aveugle, le mouvement populaire ne se dissipa pas durant les moments  les plus durs de la transition. De façon paradoxale et héroïque, il parvint à porter au pouvoir un prêtre de la  théologie de la libération, contre la volonté du Vatican, de Washington et de l’oligarchie locale [Etienne, 1999, p. 59].
Le constat des faits sociaux et politiques suivants permettent de comprendre toutes les péripéties que connaît la  transition haïtienne et l’implantation de la démocratie en Haïti et on peut la résumer ainsi :
•   la  fameuse  opération  «déchoukage» à  travers  tout  le  pays  au  lendemain  du  départ  des Duvalier,
•   le caractère sus generis du Conseil National de Gouvernement succédant à la dictature civile,
•   l’avortement des premières élections libres et démocratiques par le massacre du 29 novembre
1987,
•   la dégradation politique et économique qui ne cesse de perdurer,
•    l’instauration de la démocratie sous les pressions internationales et la restauration de celle-ci par l’intervention  militaire des Etats-Unis le 15 octobre 1994 après trois années du coup d’Etat et de blocage économique.
L’analyse de ces faits permet d’avancer que  la transition haïtienne recoupe la stratégie politique du changement  pacifique/violent de Morlino. Il est peut-être intéressant de souligner le niveau élevé de violence qui est rattaché aux processus de transition d’Haïti. Toutefois, en dépit de cette violence aveugle on n’a pas pu arriver à un changement fondamental. La probabilité de Morlino, à savoir que certaines formes de violence conduisent à la transition du régime, est très faible en Haïti.
Se référant à la révolution contemporaine des médias audiovisuels de masse, radio et surtout télévision projettent brutalement l’humanité dans la vidéosphère des réseaux de communication d’images, instantanées et  universelles [Debray, 1991]. L’Eglise catholique haïtienne, avec sa station de radio «radyo solèy» en a fait  l’expérience avec le travail de socialisation axé sur la conscientisation politique et économique des citoyens  haïtiens. Cette prise de position de la presse  haïtienne  qui  a  contribué  à  un  certain  degré  au  renversement  de  la  dictature  des duvalier, rejoint aussi l’«effet boule de neige» qu’attribue Samuel P. Huntington aux processus de transition vers la démocratie.
Les crises électorales survenues des premières élections du 29 novembre 1987 et celles du 17 janvier 1988, le  coup d’Etat sanglant du 30 septembre 91, et les conflits électoraux depuis le retour à l’ordre constitutionnel tels :  le rejet des résultats des élections du 25 juin 1995 et le boycottage du second tour du 17 septembre, les fraudes et les actes de violence enregistrés durant la réalisation des élections de 1997,  la majorité absolue revendiquée par le parti au pouvoir lors des élections de mai 2000 conduisent à partager l’idée de Przeworski selon laquelle «la structure des conflits est telle qu’aucun type d’institutions démocratiques ne peut durer, et les forces politiques finissent par se battre pour l’instauration d’une nouvelle dictature».
La définition des règles du jeu bien avant l’élaboration d’un pacte social semble être un élément  non  négligeable  dans  la  compréhension  de  la  longue  transition  haïtienne  vers  la démocratie. Née à partir de facteurs structurels internes et de revendications manifestées par les différentes  couches  de  la  population  haïtienne,  la  Constitution  de  1987  semble  privilégier beaucoup  plus  les  facteurs  externes  ou  internationaux  rattachés  à  la  modernisation  et  à  la démocratisation. Compte tenu du caractère propre de la société, après une dictature rétrograde de 29  ans   et   de   nature   féroce,   la   nouvelle   charte post-autoritaire   n’a   pas   pu   épouser sociologiquement et culturellement la réalité socio-politico-économique haïtienne dans toute son intégralité.
Tout processus de transition vers la démocratie ou de changement politique, suppose un ensemble d’acteurs qui peuvent être des individus, des institutions, des groupes sociaux, des organisations socio-politiques,  avec  leurs  intérêts  antagoniques,  leurs  conflits,  leurs  divergences  et  leurs objectifs spécifiques, qui luttent dans un espace physique déterminé et dans un temps donné pour le  maintien,  la  consolidation,  l’adaptation,  la  transformation  ou  le  changement  radical  d’un régime politique [Etienne, 1999, p. 59]. Dans l’espace haïtien, caractérisé par une économie en difficulté,  des  ségrégations  socio-spatiales  aiguës  et  un  taux  d’analphabétisme  élevé,  la proclamation  de  la  Constitution  de  1987 en  dehors  d’un  pacte  social  entre  les  différentes tendances politiques ne saurait faciliter le passage vers la transition voire la consolidation de la démocratie. 
Conclusion
La trajectoire historique de la République d’Haïti configure les caractéristiques structurelles qui définissent le cadre des relations socio-politiques de ses différents acteurs. Le non-attachement des acteurs  politiques  aux  prescriptions  de  la  constitution, manifesté  particulièrement  par l’absence volontaire des institutions  indépendantes prévues par la Constitution de 1987 telle le Conseil Electoral Permanent semblent rejoindre la conception de O’Donnell et Schmitter sur les règles du jeu démocratique au cours d’un changement de régime.
La transition haïtienne connaît de grandes difficultés, mais elle n’est pas en voie de disparition.
Elle n’a pas encore trouvé les voies et moyens pour l’émergence des normes, des valeurs et attitudes indispensables à la constitution d’un État démocratique de droit. Pour certains analystes, il semble que cette transition tend à faciliter l’instauration d’un régime autocratique, providentiel et/ou  messianique.  Cependant,  la  littérature  sur  certains  processus  de  transition  permet  de comprendre que des régimes de type  national-populiste (Juan Domingo Perón en Argentine, Getulio Vargas au Brésil et Lázaro Cárdenas au Mexique) sont à l’origine de la modernisation de bon  nombre  d’Etat.  Le  succès  chilien  a  été  l’œuvre  d’un  régime  militaire  autoritaire  et sanguinaire. Face aux mutations géniques que connaît le cas haïtien « autoritarisme – démocratie en  herbe  –  retour  de  l’autoritarisme »,  le  rappel  historique  sur  la  modernisation  et  la démocratisation  des  États  (à  partir  du  national-populisme  et du  militarisme  autoritaire  et sanguinaire)  peut  fournir  un  argument  méthodologique  pour  repenser  l’implantation  de  la démocratie en Haïti en s’appuyant sur le modèle consensuel.
Extraits de: LES ÉLECTIONS DANS LA TRANSITION DÉMOCRATIQUE EN HAÏTI
Acéphie Venise DUBIQUE
UMR 8053 - Centre de Recherche sur les Pouvoirs locaux dans la Caraïbe
( C.R.P.L.C.)
Faculté de Droit et d'Economie de la Martinique - Schoelcher
Université des Antilles et de la Guyanne
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