LA PROBLÉMATIQUE DES ÉLECTIONS EN HAÏTI
Bourrage d'urnes (1)
L'histoire d'Haïti, au cours de la période post-duvalier, est marquée particulièrement par une méconnaissance des règles du jeu démocratique. Certains faits sociaux et politiques traduisent dans leurs effets une situation chaotique qui va à l'encontre même de toute perception primaire de la démocratie. En effet, l’inexistence de véritables institutions démocratiques, l’utilisation de la violence, le rejet des élections, la transgression de l’autorité, l’échec des différentes missions de négociation entreprises depuis juillet 2000 par l’O.E.A., la CARICOM et la société civile haïtienne dans les conflits opposant le parti au pouvoir et la coalition des principaux partis d’opposition, et la permanence de la crise politique qui en découle, conduisent à poser la question suivante : Y a-t-il une transition démocratique en Haïti ?
Dans la perspective d’apporter des éléments de réponse à cette question principale de recherche, trois hypothèses de travail sont postulées :
1. La longue et périlleuse transition démocratique que connaît la République d’Haïti est due à l’inadéquation existant entre le caractère trop démocratique de la Constitution de 1987 et la précarité des conditions socio-économiques du pays.
2. Le non-respect des règles démocratiques par les hommes politiques haïtiens est intimement lié à l’esprit de domestication de la population qui résulte à la fois de l’héritage colonial (le système esclavagiste) et du maintien de l’analphabétisme.
3. Les conflits, résultant des différentes élections réalisées après le retour à l’ordre constitutionnel en octobre 1994, sont intimement liés au poids des traditions et de la culture politique qui pèsent sur les idées et les comportements des acteurs.
Le passage de l’autoritarisme à la démocratie fait l’objet d’études de nombreux chercheurs de diverses branches des sciences sociales. Cette abondante littérature sur les processus de transition, est à la fois utile et nécessaire pour la mise en relief des traits généraux et particularités marquant les différents mouvements de changement politique de la fin du 20ème siècle. Dans le cadre de cette étude sur les élections dans la transition démocratique en Haïti, on retiendra en particulier, les travaux de Juan Linz, de Guillermo O’Donnel, de Phillipe C. Schmitter, de Leonardo Morlino, d’Adam Przeworski et Samuel P. Huntington sur les concepts de transition et de consolidation de la démocratie, ainsi que ceux des auteurs haïtiens comme Claude Moïse, Laënnec Hurbon, Leslie F. Manigat, Gérard Pierre-Charles, S. Etienne, Kern Delince, etc., sur la chute du régime des Duvalier, le poids de l’histoire dans les processus de libéralisation politique en Haïti, les obstacles à la construction de la démocratie dans ce pays ainsi que certaines références telles que : la constitution de 1987, les décrets et lois électorales et les documents et rapports.
La situation de crise aiguë que connaît le pays telle : les revendications sociales, la mobilisation populaire, le choc des intérêts et la lutte pour le pouvoir affaiblissent les "institutions" de la démocratie représentative et le système politique implanté par les Etats-Unis. Le général Kébreau, face à cette situation chaotique, réalise le 15 juin 1957 le coup d’Etat contre le leader charismatique Fignolé, président provisoire ; il organise d’une main de fer, les élections présidentielles du 22 septembre de la même année au bénéfice de François Duvalier. Avec l’utilisation de la violence aveugle, des méthodes de répression devenues légendaires, la dictature des Duvalier s’est révélé la plus féroce d’Amérique Latine et des Caraïbes. Avant de mourir, en1971 il désigne son fils Jean-Claude âgé de dix-neuf ans pour le remplacer; il sera renversé en 1986 par un large mouvement populaire appuyé par une partie notable du Clergé catholique. Le 29 mars 1987, Le peuple haïtien a approuvé la constitution de 1987 sur le mode mineur et émotionnel parce qu’il appuyait la sanction de l’article 291 qui frappait les duvaliéristes et, de manière plus imprudente, parce qu’elle consacrait les espérances de 1986.
L’article 291, élément non négligeable dans la motivation citoyenne pour la première consultation électorale démocratique de 1987, semble être la première explication possible au massacre du 29 novembre 1987 orchestré par les duvaliéristes avec la complicité du Conseil National de Gouvernement (CNG). En effet, la première consultation électorale (novembre 1987) de l’ère démocratique en Haïti, opposant les conservateurs (les Forces Armées d’Haïti et les duvaliéristes) et le Front National de Concertation (FNC), qui regroupait 57 organisations socio-politiques, et les autres partis politiques s’est transformé en un massacre. Cette mise en garde contre l'apprentissage démocratique semble favoriser un retour à ce que Hobbes appelle «l'Etat de nature» caractérisé par des gouvernements militaires successifs.
Le système politique où l’armée est source de pouvoir est formellement et réellement inégalitaire, écrit [Lahouari Addi,1999 p.225], et ne peut fonctionner avec un minimum de paix civile que s’il se structure autour d’une personnalité charismatique dans laquelle se projettent les membres de la communauté nationale. Cette approche théorique a de 1990 à 2002 ouvert un champ d’application en Haïti avec l’élection du Père Aristide à la présidence de la République. La praxis des fidèles d’obéir à leur directeur spirituel peut néanmoins orienter le concept de «paix civile» avancé par Lahouari Addi vers celui de domination et plus particulièrement vers le concept de «domination charismatique» souligné par Max Weber [1995]. Faudra-t-il souligner dans le cas haïtien l’habitude développée dans le pays à savoir celle d’identifier les dirigeants en termes familiers et même familiaux : «Papa Pétion» dont on rapporte que la nation avait pleuré la mort, «Tonton Nord (Oncle Nord)», «Papa Vincent», «Papa Doc» et jusqu’aux récents surnoms de «Titime» (Estimé), «Titide» (Aristide) ? On ne peut penser que de telles pratiques visent à réduire psychologiquement la distance que l’exercice du pouvoir établit normalement entre les citoyens et leurs dirigeants ; elles traduisent aussi une sorte d’infantilisation de la population en vue de sa domination. Dans les structures où le fait démocratique connaît une transition assez longue, de telles pratiques peuvent entraver la consolidation de la démocratie en favorisant l’établissement d’un climat de conflit social entre la population et les autres forces politiques d’idéologie différente qui s’opposeraient aux idéaux du dirigeant charismatique.
Le retour à l’ordre constitutionnel en octobre 1994 – consécutif à la démobilisation de l’armée - offre de nouveaux champs d’application à l’établissement définitif de la démocratie en Haïti. La démocratie impose «l’autorité de la loi plutôt que celles des hommes. Les dirigeants démocratiquement élus doivent perdre l’habitude de se placer au-dessus de la loi 2. Mais quelles sortes de transgressions de la loi sont suffisamment sérieuses pour que l’on s’inquiète de la santé démocratique d’un régime ? Assurément, toute transgression commise ouvertement, de manière répétée et à l’abri de poursuites judiciaires» [Schelder A. 2001 p.230]
En effet, chaque élection réalisée dans le pays se fait sous la direction d’un nouveau conseil électoral provisoire. Car si l’on se réfère aux dispositions transitoires de la loi mère, toutes les élections qui ont succédé la consultation électorale de 1987 devraient être réalisées sous la direction d’un conseil électoral permanent. La seule institution, qui devait assurer depuis 1988 la direction et la gestion des élections haïtiennes, et dont l’absence volontaire ou involontaire semble devenue aujourd’hui une entrave à la cohésion sociale. En Haïti, le seul moyen pour un pouvoir d’être à l’abri de poursuites judiciaires est le contrôle du parlement. La mise en accusation du Président de la République, du Premier Ministre, des Ministres et des Secrétaires d’État et d’autres dignitaires de l’État pour crimes de haute trahison ou tous autres crimes ou délits commis dans l’exercice de leurs fonctions, ne peut être prononcée que par la chambre des députés à la majorité absolue des deux tiers de ses membres ; et seul le sénat peut s’ériger en Haute Cour de Justice, jusqu’au prononcé de la décision. De ce fait, on peut avancer sous la base d’hypothèse à vérifier que toute la problématique posée par les élections de 2000 dans la transition démocratique en Haïti se trouve installée dans un esprit de contourner les prescrits de la constitution, par l’occupation de tous les espaces du pouvoir.
Bourrage d'urnes (2)
Pour qu’une démocratie se consolide, plusieurs chercheurs posent la nécessité de l’existence d’un large consensus démocratique, au sein duquel : «tous les groupes politiques importants … adhèrent aux règles du jeu démocratique», «aucun acteur national, social, économique, politique ou institutionnel n’investit des ressources significatives en vue de créer un régime non démocratique répondant à ses objectifs», «aucun des acteurs collectifs ne remet en question la légitimité des institutions démocratiques», «personne ne peut [même] imaginer agir en dehors du cadre des institutions démocratiques»
En Haïti, le consensus démocratique entre le pouvoir, les différents partis politiques et l’élite dirigeante se fait uniquement au moment de la formation des conseils électoraux provisoires. Une fois que les forces politiques en présence se sont mises d’accord sur la formation du conseil, le pouvoir reprend son caractère privé et ne défend que les intérêts du groupe qui le constitue. Les élections de 1995 résultant de la fin du mandat des députés de la 45ème Législature, de 18 sénateurs, des maires et Conseillers des sections Communales (2192 postes électifs) se sont déroulées sous le signe de ce qu’on pourrait appeler «un consensus démocratique». Cependant, le contrôle excessif exercé par le président Aristide et ses proches collaborateurs entraîne un malaise au sein même de la coalition Lavalas, occasionnant des maladresses du pouvoir Exécutif qui provoqueront entre autres le rejet des élections du 25 juin 1995 par l’opposition et le boycott du second tour, réalisé le 17 septembre de la même année.
Le sénateur contesté Fourrel Célestin (avec lunettes) issu des élections legislatives contestées de 1995 avec le bandit-détrousseur surnommé Général Titi et Jean Bertrand Aristide
Les élections du 6 avril 1997, en plus du renouvellement du tiers du sénat (9 sénateurs) et de deux députés, permettraient la constitution des 556 Assemblées des Sections Communales, des 133 Assemblées et des 9 Assemblées Départementales ainsi que la constitution du Conseil Interdépartemental et du Conseil Electoral Permanent (CEP). L’abstention de l’opposition va mettre face à face les deux principales organisations du mouvement Lavalas ; l’Organisation Politique Lavalas (O.P.L.) et La famille Lavalas (F.L.) Ce processus électoral donna lieu aussi à une crise de régime et de gouvernabilité.
Le 21 mai 2000, les élections qui devraient élire 83 députés, 17 sénateurs et l’ensemble des membres constituant les pouvoirs locaux au niveau national, sont gagnées par le parti au pouvoir à la majorité absolue mais elles sont contestées par l'opposition. La Mission d'Observation Électorale de l'Organisation des États Américains (OEA), sans invalider les élections a mis en cause la méthodologie employée par le Conseil Électoral Provisoire (version 1999) pour déterminer les pourcentages de vote provoquant ainsi une crise à la fois sociale, politique, et économique assez importante.
Malgré la demande de la résolution de la crise électorale du 21 mai par la Communauté Internationale, les élections sénatoriales et présidentielles de novembre 2000 ont été boycottées par l’opposition et remportées à la majorité absolue par le parti au pouvoir. Ces transgressions répétées vont une fois encore aggraver la crise jusqu’à provoquer un blocage des fonds alloués à Haïti par le Fonds Monétaire Internationale (FMI), la Banque Mondiale et les coopérations bilatérales car comme le souligne Schelder, elles peuvent «porter atteinte à la santé de la démocratie»
La grande aventure démocratique, souligne Simone Goyard-Fabre «est lourde à assumer». La transition vers un régime démocratique est un processus long et incertain. Les soubresauts qu'a connus la France aux XIXe et XXe siècles le démontrent amplement. Les changements institutionnels - souvent accomplis dans la violence - n'ont que graduellement et difficilement enraciné la République. L'enracinement de la République Française n'a été possible que par un travail long, profond et volontariste portant sur les mécanismes institutionnels bien sûr, mais aussi sur l'éducation (les lois scolaires de la IIIe République).
L’apprentissage de la démocratie semble exiger une prise en charge de l’avenir par la mise en place d’institutions devant assurer la pérennité du fait démocratique. La décision finale de la Cour Suprême des États-Unis aux conflits opposant les partis républicain et démocrate sur les élections présidentielles de novembre 2000 et l’acceptation par les candidats Bush et Gore de cette décision est l’un des plus grands exemples sur le rôle des institutions dans le jeu démocratique.
L’analyse de certains faits observés en Haïti : l’avortement des premières élections post- autoritaires de novembre 1987, les différentes dictatures militaires de la période 1986 – 1991, le coup d’état sanglant de 1991, l’intervention de puissances militaires étrangères pour le rétablissement de la démocratie, l’absence en 2002 des institutions prévues par la Constitution de 1987 et les différentes crises post-électorales de 1995-2000, laissent croire que les règles du jeu démocratique haïtien ne sont pas encore bien installées dans l’espace politique de ce pays. L’absence d’un nouveau pacte social rend difficile l’étude d’un «consensus socio-politique», ce qui ne permet pas aujourd’hui de considérer une analyse théorique sur l’applicabilité de la«consolidation de la démocratie» au cas haïtien.
Des exemples de Transition : Uruguay, Philippines, Chili
L'expérience de l'Uruguay
L’histoire démocratique de l’Uruguay remonte du début du XXe siècle et s’est inscrite très tôt dans une perspective sociale-démocrate à l’Européenne et repose sur des clivages partisans qui demeurent solides et cohérents en dépit de la mainmise des militaires sur le gouvernement.
1983 –1984 marque la période au cours de laquelle le changement politique a eu lieu en Uruguay. Cette transition, déroulée sous des auspices meilleurs, a été possible grâce à la prise de conscience des généraux et amiraux de l’armée qui se réclament eux aussi de l’histoire démocratique de ce pays. Leur mainmise sur le gouvernement n’a pas eu d’autre explication qu’une mesure provisoire dictée par une menace d’effondrement de l’Etat. Cependant, attachés à la logique démocratique, les généraux ont fini par conclure non seulement un pacte «Club Naval » avec les représentants des partis mais aussi rappeler les cadres syndicaux exilés afin pour un dialogue social seul capable de canaliser l’impatience des salariés dont le pouvoir d’achat a diminué de moitié en quelques années »[Hermet 1996, p.61]. La démocratisation de l’Uruguay fournit l’exemple parfait d’une transition concertée, et non pas simplement octroyée puis légitimée [Hermet 1996, p.61].
L'expérience des Philippines
La transition démocratique des Philippines, ancienne colonie espagnole jusqu’en 1898, se rapprochent par ces traits des sociétés de l’Amérique latine. Cependant, obéit avant tout à une dynamique inspirée par les États-Unis, le processus de changement politique amorcé par ce pays en 1986 diffère complètement de ceux des pays sud-américains. Selon Guy Hermet «la qualité démocratique du régime restaurée » pose un problème. C’est-à-dire à en croire l’auteur, il est plutôt question d’une restitution de pouvoir à l’oligarchie terrienne et financière malmenée autrefois par le dictateur Marcos. La manière dont a été effectué le changement politique aux Philippines ne laisse aucun doute qu’il puisse exister une corrélation entre la réussite d’un changement politique et la densité d’une population.
L'expérience du Chili
Les expériences démocratiques du Chili, bien qu’elles recoupent un peu celles de l’Uruguay par la manière dont fut amené le processus de transition politique, n’ont été possibles que par la volonté des chiliens de préserver leur croissance économique et non à cause de la densité de sa population.
En effet, le général Pinochet, bâtissant sa dictature à partir d’un dispositif constitutionnel depuis 1980 sous le couvert du suffrage universel. Il organise en 1988 le nouveau plébiscite pour obtenir la prorogation de son mandat présidentiel. Il se trouve que ce nouveau plébiscite tourne à son désavantage (45% pour-55%contre). Il a fallu attendre 1990 pour que les présidents de tendance démocrate-chrétienne Aylwin puis Frei arbitrent «une transition qui présente à deux niveaux quelques similitudes avec celle de l’Espagne.
La Transition haïtienne
L’effondrement du régime des Duvalier, le 7 février 1986 marque un tournant décisif dans le système politique haïtien. Ce changement politique suscite de nombreuses controverses, de disputes et de violences entre les différents acteurs de la classe politique haïtienne. La transition haïtienne, «résultat» d’une rupture violente avec les structures dictatoriales de Duvalier qui s’étend sur une période considérablement longue, est pour de nombreux observateurs de la classe intellectuelle haïtienne une «transition illimitée».
La transition haïtienne est une transition en dents de scie, une transition chaotique. Il y eut à la fois continuité et rupture dans le processus de changement politique. Contrairement à l’affirmation de O’Donnell, la mobilisation populaire ne fut pas éphémère dans le cas haïtien, malgré la répression sélective, massive et parfois aveugle, le mouvement populaire ne se dissipa pas durant les moments les plus durs de la transition. De façon paradoxale et héroïque, il parvint à porter au pouvoir un prêtre de la théologie de la libération, contre la volonté du Vatican, de Washington et de l’oligarchie locale [Etienne, 1999, p. 59].
Le constat des faits sociaux et politiques suivants permettent de comprendre toutes les péripéties que connaît la transition haïtienne et l’implantation de la démocratie en Haïti et on peut la résumer ainsi :
• la fameuse opération «déchoukage» à travers tout le pays au lendemain du départ des Duvalier,
• le caractère sus generis du Conseil National de Gouvernement succédant à la dictature civile,
• l’avortement des premières élections libres et démocratiques par le massacre du 29 novembre
1987,
• la dégradation politique et économique qui ne cesse de perdurer,
• l’instauration de la démocratie sous les pressions internationales et la restauration de celle-ci par l’intervention militaire des Etats-Unis le 15 octobre 1994 après trois années du coup d’Etat et de blocage économique.
L’analyse de ces faits permet d’avancer que la transition haïtienne recoupe la stratégie politique du changement pacifique/violent de Morlino. Il est peut-être intéressant de souligner le niveau élevé de violence qui est rattaché aux processus de transition d’Haïti. Toutefois, en dépit de cette violence aveugle on n’a pas pu arriver à un changement fondamental. La probabilité de Morlino, à savoir que certaines formes de violence conduisent à la transition du régime, est très faible en Haïti.
Se référant à la révolution contemporaine des médias audiovisuels de masse, radio et surtout télévision projettent brutalement l’humanité dans la vidéosphère des réseaux de communication d’images, instantanées et universelles [Debray, 1991]. L’Eglise catholique haïtienne, avec sa station de radio «radyo solèy» en a fait l’expérience avec le travail de socialisation axé sur la conscientisation politique et économique des citoyens haïtiens. Cette prise de position de la presse haïtienne qui a contribué à un certain degré au renversement de la dictature des duvalier, rejoint aussi l’«effet boule de neige» qu’attribue Samuel P. Huntington aux processus de transition vers la démocratie.
Les crises électorales survenues des premières élections du 29 novembre 1987 et celles du 17 janvier 1988, le coup d’Etat sanglant du 30 septembre 91, et les conflits électoraux depuis le retour à l’ordre constitutionnel tels : le rejet des résultats des élections du 25 juin 1995 et le boycottage du second tour du 17 septembre, les fraudes et les actes de violence enregistrés durant la réalisation des élections de 1997, la majorité absolue revendiquée par le parti au pouvoir lors des élections de mai 2000 conduisent à partager l’idée de Przeworski selon laquelle «la structure des conflits est telle qu’aucun type d’institutions démocratiques ne peut durer, et les forces politiques finissent par se battre pour l’instauration d’une nouvelle dictature».
La définition des règles du jeu bien avant l’élaboration d’un pacte social semble être un élément non négligeable dans la compréhension de la longue transition haïtienne vers la démocratie. Née à partir de facteurs structurels internes et de revendications manifestées par les différentes couches de la population haïtienne, la Constitution de 1987 semble privilégier beaucoup plus les facteurs externes ou internationaux rattachés à la modernisation et à la démocratisation. Compte tenu du caractère propre de la société, après une dictature rétrograde de 29 ans et de nature féroce, la nouvelle charte post-autoritaire n’a pas pu épouser sociologiquement et culturellement la réalité socio-politico-économique haïtienne dans toute son intégralité.
Tout processus de transition vers la démocratie ou de changement politique, suppose un ensemble d’acteurs qui peuvent être des individus, des institutions, des groupes sociaux, des organisations socio-politiques, avec leurs intérêts antagoniques, leurs conflits, leurs divergences et leurs objectifs spécifiques, qui luttent dans un espace physique déterminé et dans un temps donné pour le maintien, la consolidation, l’adaptation, la transformation ou le changement radical d’un régime politique [Etienne, 1999, p. 59]. Dans l’espace haïtien, caractérisé par une économie en difficulté, des ségrégations socio-spatiales aiguës et un taux d’analphabétisme élevé, la proclamation de la Constitution de 1987 en dehors d’un pacte social entre les différentes tendances politiques ne saurait faciliter le passage vers la transition voire la consolidation de la démocratie.
Conclusion
La trajectoire historique de la République d’Haïti configure les caractéristiques structurelles qui définissent le cadre des relations socio-politiques de ses différents acteurs. Le non-attachement des acteurs politiques aux prescriptions de la constitution, manifesté particulièrement par l’absence volontaire des institutions indépendantes prévues par la Constitution de 1987 telle le Conseil Electoral Permanent semblent rejoindre la conception de O’Donnell et Schmitter sur les règles du jeu démocratique au cours d’un changement de régime.
La transition haïtienne connaît de grandes difficultés, mais elle n’est pas en voie de disparition.
Elle n’a pas encore trouvé les voies et moyens pour l’émergence des normes, des valeurs et attitudes indispensables à la constitution d’un État démocratique de droit. Pour certains analystes, il semble que cette transition tend à faciliter l’instauration d’un régime autocratique, providentiel et/ou messianique. Cependant, la littérature sur certains processus de transition permet de comprendre que des régimes de type national-populiste (Juan Domingo Perón en Argentine, Getulio Vargas au Brésil et Lázaro Cárdenas au Mexique) sont à l’origine de la modernisation de bon nombre d’Etat. Le succès chilien a été l’œuvre d’un régime militaire autoritaire et sanguinaire. Face aux mutations géniques que connaît le cas haïtien « autoritarisme – démocratie en herbe – retour de l’autoritarisme », le rappel historique sur la modernisation et la démocratisation des États (à partir du national-populisme et du militarisme autoritaire et sanguinaire) peut fournir un argument méthodologique pour repenser l’implantation de la démocratie en Haïti en s’appuyant sur le modèle consensuel.
Extraits de: LES ÉLECTIONS DANS LA TRANSITION DÉMOCRATIQUE EN HAÏTI
Acéphie Venise DUBIQUE
UMR 8053 - Centre de Recherche sur les Pouvoirs locaux dans la Caraïbe
( C.R.P.L.C.)
Faculté de Droit et d'Economie de la Martinique - Schoelcher
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