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 Haiti-Refondation.org

LE CARNAVAL DES FLEURS FANÉES

31 Juillet 2013, 09:56am

Publié par haiti-refondation-org

 

Par Francklyn Geffrard

 

*Cet article a été publié l'année dernière à pareille époque. Mais vous serez étonnés de remarquer que si nous avions modifié seulement que les dates en vue d'une petite réactualisation, le gouvernement, de son côté, n'a non plus rien fait pour modifier véritablement la situation de misère du peuple haïtien.

 

Les autorités haïtiennes ont organisé les 28, 29, et 30 juillet ce qu’elles appellent « le carnaval des fleurs. » Ce fut le deuxième carnaval organisé en six (6) mois par l’équipe au pouvoir qui a pourtant promis le changement. Deux carnavals par an, c’est exceptionnel pour un pays en proie au chômage, à la misère et à une insécurité non maîtrisée. Et parlant de changement, c’en est un, si l’on tient compte du fait qu’il y a longtemps qu’on ne parlait plus de ce carnaval qui coïncidait en général avec la célébration de l’anniversaire de naissance de l’ancien dictateur Jean Claude Duvalier. Curieusement, le premier jour gras de ce carnaval spécial tombe le jour (28 juillet) date qui marque le début de l’Occupation américaine d’Haïti . Quelle coïncidence ! Tout cela n’est pas tout à fait étonnant quand on sait que ce sont les néo-duvaliéristes qui ont le pouvoir. Par contre, ce qui indigne, c’est la propagande faite autour de ce carnaval et la tentative maladroite des autorités pour le justifier.


Après les Cayes qui, dit-on, fut un succès pour le pouvoir en place, c’est à Port-au-Prince qu’il veut rééditer l’exploit. Port-au-Prince aura donc son carnaval. Les fêtards, inconscients de l’utilisation politique que le pouvoir veut faire, et fera d’eux et de cet événement, seront sans doute au rendez-vous. Après tout, c’est une thérapie. Mais elle ne durera que trois (3) jours. Si la tenue de deux carnavals en six (6) mois est exceptionnelle, un peuple qui chante et danse alors qu’il crève de faim c’est tout aussi exceptionnel. Ce qui revient à dire le peuple haïtien est en train de développer timidement, mais certainement une espèce de culture de misère qui plaît bien à nos dirigeants. Les autorités semblent prendre pour vraie, la formule qui consiste à donner du « Tafya ak mizik, » de l’alcool et de la musique au peuple haïtien pour le faire tout oublier, sa misère, son dénuement, et ses privations.


Le carnaval des Cayes, rappelons-le, avait coûté aux contribuables haïtiens la coquette somme de cinquante (50) millions de gourdes. Il n’y a aucun doute que le budget du carnaval de Port-au-Prince sera largement supérieur à celui des Cayes. Port-au-Prince c’est non seulement la capitale d’Haïti, mais c’est également, d’une certaine façon, le pays lui-même avec une population qui avoisinerait les deux million d’habitants. Parallèlement, tout y est concentré.


Les autorités présentent ce carnaval des fleurs – des fleurs qui ne seront certainement pas roses – comme un moyen pour promouvoir le tourisme et vendre une belle image du pays. Tout cela paraît intéressant. Cependant, les conditions minimales d’accueil des touristes ne sont même pas réunies. Par exemple, le pays ne dispose pas de 1000 (mille) chambres d’hôtel. La promotion du tourisme peut-elle, à elle seule justifier l’organisation  de deux carnavals dans moins d’un an ? Mais au-delà de tout ça, l’État a bien sûr des priorités. L’organisation de ce carnaval peut-elle être considérée comme l’une des priorités de l’État ? Il est vrai que ce carnaval coïncide avec la période estivale, mais déjà l’État devrait penser à la rentrée des classes prévue pour le début du mois de septembre. Voilà une priorité. Une autre priorité, la préparation des élections législatives partielles et municipales. Au lieu de remplacer les conseils municipaux par des agents de l’exécutif, le gouvernement ferait mieux d’organiser ces élections vitales pour la consolidation des pouvoirs locaux. Autre chose, le Sénat de la République est aujourd’hui dysfonctionnel parce qu’il est amputé d’un tiers de ses membres, soit 10 sénateurs.


Il n’est un secret pour personne que le budget national dépend très largement de l’assistance internationale. En fait, le pays vit totalement dans la dépendance économique. En plus, nous importons presque tout, la production nationale étant à son plus bas niveau. La relance de la production nationale, un des piliers du développement du pays constitue aussi une priorité pour tout gouvernement sérieux et soucieux du bien-être de ses gouvernés. L’argent qu’on va dépenser pour la réalisation des festivités carnavalesques n’aurait-il pas pu servir à la mise en place d’une banque agricole destinée à promouvoir la relance de la production nationale ? Si le pays doit organiser au moins deux carnavals par an, on doit s’attendre à ce que la population se laisse emparer de plus en plus de la paresse pathologique au point d’oublier sa souffrance. Et si tel est l’objectif, on ne devra pas s’étonner qu’on organise un carnaval tous les trois (3) mois en Haïti. Veut-on que l’étranger qui finance l’organisation des élections pour nous et fait pratiquement presque tout pour nous nous prenne au sérieux ? Sommes-nous sérieux ?


Il est évident que le carnaval offrira l’opportunité aux artistes, artisans, charpentes, petits détaillants et autres métiers de faire quelques affaires. Mais on sait aussi que les grands bénéficiaires du carnaval seront certainement les organisateurs et leurs amis qui auront tous les contrats juteux. C’est toujours à la mode de chez nous ! L’argent qui a été dépensé pour ces festivités carnavalesques aurait pu être utilisé pour la création d’emplois à court terme pour les jeunes écoliers. L’État pourrait mobiliser le montant alloué au carnaval « des fleurs » pour mettre les jeunes de 15 à 20 ans au travail pendant les vacances d’été. Cela pourrait être un grand support pour de nombreux jeunes démunis qui auraient ainsi gagné quelque chose pour préparer leur rentrée scolaire en Septembre. Ce serait aussi une façon pour le pouvoir en place d’honorer l’un de ses « E » s’il ne voulait pas marcher dessus.


Cependant, ni la distraction carnavalesque ni la réjouissance populaire ne peuvent pas et ne pourront servir de thérapie permanente pour un peuple affamé et privé de ses droits les plus élémentaires. Le carnaval ne pourra certainement pas résoudre les problèmes liés à la crise du logement, à la faim, au non-accès à la santé, à l’éducation, aux carences d’infrastructures de base et à l’emploi. Le carnaval ne fera pas oublier que le pays est occupé et que ses dirigeants ne sont pas nécessairement libres pour agir en faveur du peuple et dans l’intérêt de la nation. Les trois jours gras ne pourront certainement pas faire oublier que les occupants ont apporté le choléra en Haïti et qu’il a déjà tué plus de 7.000 de nos compatriotes et qu’en plus les autorités n’ont même pas le courage d’exiger réparation pour les victimes. Ces autorités se contentent de mener une politique du crâne rasé (tet kwòt en créole) ; une politique qui ne se fonde que sur des slogans populistes. Le carnaval dit des fleurs ne pourra nullement faire oublier qu’on vient de publier un amendement constitutionnel qui enlève toute participation populaire dans la mise en place des instances de décision comme la formation du CEP, la nomination des juges, etc. En fait, il s’agit de l’exclusion pure et simple des masses dans la gestion de la chose publique. C’est une forme d’apartheid. Le carnaval ne pourra empêcher la population de voir la velléité de certains secteurs de diriger le pays au profit d’une caste sans aucun véritable plan national de développement. Enfin, le carnaval, même s’il devait durer 1825 jours, ne pourra faire oublier que le pays est riche en ressources minières et que pour exploiter à son insu l’or de Trou du Nord, on crée une autre distraction destinée à détourner l’attention de la population avec la mise en place d’industrie de la sous-traitance à Caracol pour continuer à les maintenir dans le chômage déguisé. Le carnaval des fleurs fanées ne pourra certainement pas cacher l’incompétence des uns et des autres, ni leur velléité à effectuer un retour vers des pratiques que l’on croyait à jamais révolues. En vérité, ce sera non seulement un carnaval des fleurs fanées, mais  encore sans rose…


Francklyn Geffrard


 

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