PLAIDOYER POUR LA SIGNATURE D'UN PACTE DE GOUVERNABILITÉ
PLAIDOYER POUR LA SIGNATURE D'UN PACTE DE GOUVERNABILITÉ : L'UNIQUE OPTION POUR UNE SORTIE DURABLE DE NOS CRISES Une constance accablante Depuis la chute de la dictature, malgré l'adoption de la
Constitution de 1987 qui a institué un régime démocratique et pluraliste, Haïti peine encore à trouver sa voie vers l'instauration d'un système politique réellement démocratique, passage obligé
pour refonder l'Etat, mettre en place une administration transparente et efficace au service de la population, faire fonctionner les institutions de façon harmonieuse. L'absence de tradition
démocratique, la difficulté à constituer des partis politiques forts et bien implantés constituant l'expression politique des forces sociales, l'incapacité des acteurs politiques et sociaux à se
mettre d'accord sur l'essentiel, la réticence des uns et des autres à organiser des élections libres, honnêtes et démocratiques, l'ingérence de certaines puissances dans le jeu politique
constituent autant de barrières évidentes sur le chemin de la bonne gouvernance. A cela il faut ajouter, la corruption, le recul des valeurs morales dans notre société, le manque de constance des
élus dans leur choix et leur appartenance politique, la tendance des Haïtiens à refuser l'application stricte de la règle de droit, leur propension à préférer les petits arrangements et les
compromissions au respect des règles du jeu qu'ils ont eux-mêmes établies. La liste pourrait être longue si l'on voulait énumérer toutes les causes qui enferment Haïti dans une spirale interminable
d'échecs. Comme conséquence de cet état de fait, depuis vingt-cinq ans le pays va de crise en crise sans que l'on puisse voir le bout du tunnel. Les élections successives ont malheureusement amené
au pouvoir des dirigeants qui ne comprennent pas ou ont du mal à accepter les règles élémentaires du système démocratique. Chaque petite concession faite pour tenter de débloquer une situation ou
pour sortir d'une crise en entraine d'autres plus importantes qui se révèlent être des solutions mort-nées. Les problèmes auxquels notre pays fait face aujourd'hui ne peuvent pas être réglés par
des méthodes traditionnelles. Les tentatives de l'exécutif de jouer de son autorité pour s'imposer n'ont fait qu'envenimer la situation. Avec la configuration politique que nous avons au Parlement,
les tensions nées des manœuvres des uns et des autres, les maladresses commises, les tentatives d'instrumentalisation de certains groupes comme les supposés anciens militaires , la volatilité des
majorités fabriquées sans aucun ciment idéologique ou programmatique, l'instabilité des groupes politiques et de leurs alliances conjoncturelles, les libertés qui ont été prises avec la
Constitution et la loi, cette nouvelle affaire de millions rendue publique par la célèbre journaliste dominicaine, Nuria Peira, et ensuite la découverte d'un complot contre le président haïtien,
ourdi par des ressortissants dominicains et haïtiens, mais révélé par les services secrets dominicains donnant l'impression d'un montage à caractère électoraliste, créé de toutes pièces dans le but
de détourner l'opinion dominicaine qui prête beaucoup d'attention à la campagne du candidat du Parti Révolutionnaire Dominicain(PRD), Hipolito MEJIA. Bien entendu, au cours de cette campagne, il
est beaucoup question de la danse des millions entre les autorités dominicaines et haïtiennes. Tout ceci ne fait que fragiliser davantage la présidence haïtienne qui a du mal à faire la lumière sur
cette question précise. Bref, cette série de crises, les unes plus importantes que les autres ont mis à mal nos institutions, affaiblissent l'autorité de l'Etat et donnent l'impression à la
population qu'elle est à la dérive et rendent en fin de compte illusoire toute tentative de sortir durablement des crises par des moyens institutionnels classiques. Malgré tout cela, nous avons la
certitude qu’Haïti n'a pas le monopole des crises. D'autres pays ont connu des crises et s'en sont tirés. L'Espagne après la mort du Général Franco, le Venezuela avec le président Romulo
Bettancourt, le Chili après la chute de PINOCHET, la République dominicaine sous la présidence de Joaquim Balaguer et le Panama après l'arrestation brutale du Général président Antonio Noriega. Il
nous faut faire preuve d'imagination et pourquoi ne pas, appliquer ici des méthodes qui ont donné des résultats satisfaisants ailleurs, où, comme nous, ils ont opté pour la démocratie
représentative, l’alternance et le pluralisme politiques, la liberté d’expression et de circulation, etc.... POUR REDONNER CONFIANCE ET GOUVERNER LA SIGNATURE D'UN PACTE POLITIQUE EST INDISPENSABLE
Face à un tel diagnostic et dans la mesure où les Haïtiens arrivent au moins à se mettre d'accord sur le problème posé par ces crises à répétition, la seule solution est l'organisation d'un ''chita
tande'' réunissant les tenants du pouvoir exécutif avec l'ensemble des forces politiques représentatives (celles qui sont représentées au Parlement et quelques autres qui ont boycotté les dernières
élections dans le but de sortir de la malédiction des élections truquées et contestées), auxquelles on pourrait ajouter certains secteurs organisés de la société civile (secteur religieux, secteur
privé des affaires formelles et informelles, les syndicats). Il ne s'agira pas d'une conférence nationale au sens où on l'a entendu dans certains pays d'Afrique qui sortaient de la dictature et
encore moins d'une conférence nationale souveraine comme le souhaitent certains qui veulent tout remettre en question. Il ne s'agira pas non plus d'un manuel du savoir vivre ensemble. Le Pacte de
gouvernabilité est une formule utilisée dans des pays où la tradition dictatoriale rendait difficile le processus de démocratisation. L'expérience a porté ses fruits dans de nombreux pays en Europe
et en Amérique latine. Comme nous l'avons déjà signalé. La situation qui prévaut en Haïti est tout à fait compatible avec une telle démarche. Le passage obligé pour s'engager dans cette voie est
l'obtention d'un consensus aussi large que possible pour appuyer le choix de cette voie de sortie de crise durable. Dans la mesure où un grand nombre des acteurs susmentionnés adhère à l'idée de
signer un pacte pour rendre ce pays gouvernable, il faudra aussi s'assurer que les points qui feront l'objet d'accord seront contraignants et obligatoires pour tous sans exception. En fait le Pacte
de gouvernabilité sera une sorte de feuille de route qui s'imposera à tous les pouvoirs qui se succèderont dans les prochaines années. Il reste entendu que malgré la signature du pacte il y aura
toujours une majorité gouvernementale et une opposition. A l'occasion des joutes électorales, chaque acteur pourra choisir son camp et participer aux alternances à la tête de l'Etat. Il importe
maintenant de chercher à convaincre un maximum d'acteurs à adhérer à la démarche pour la signature dans un délai de un à trois mois la signature d'un Pacte de gouvernabilité suffisamment consensuel
et qui puisse être soutenu par le plus grand nombre. Il faut convaincre les uns et les autres qu'il ne peut pas s'agir d'un marché de dupes. Ce pacte ne devra pas être un papier de plus que
certains utiliseront pour sortir d'un mauvais pas et que l'on s'empressera d'oublier une fois le calme revenu. Dans les plaidoyers à faire en faveur du pacte, il faudra convaincre de la gravité de
la situation, définir la problématique et déterminer les objectifs de l'opération. En quelques mots le problème réside dans le constat que tous font aujourd'hui que nos pratiques politiques, notre
façon d'appréhender le pouvoir, notre refus d'admettre la primauté du droit dans la gestion de nos relations, notre obstination à refuser l'organisation d'élections libres, notre incapacité à nous
affranchir de la tutelle et de l'ingérence étrangères, notre tendance à laisser s'installer la corruption à tous les niveaux comme un mode normal de fonctionnement, notre refus de considérer le
dialogue comme un mode privilégié de résolution des conflits. Les choix de politiques publiques ne sont pas mentionnés ici. Même si l'on ne rentre pas dans les détails le Pacte doit aussi fixer des
engagements et des objectifs sur les grandes priorités du moment surtout en matière de reconstruction, de décentralisation, de réarmement moral et civique du peuple, de réaménagement du territoire,
d’une réforme cadastrale, de création de richesses et d'opportunités, d'accès pour tous à une éducation et à des soins de santé de qualité, de sécurité, de lutte contre la mentalité rentière et
pour la création de l'esprit entrepreneurial chez les jeunes et les femmes, enfin du dépoussiérage de la Constitution selon la procédure exigée par cette dernière, etc... Bien entendu le Pacte
ouvre la voie au dialogue national et de fait, ne peut pas être un catalogue de solutions toutes faites, il ne pourra pas résoudre tous les problèmes et ne peut pas non plus imposer les voies et
moyens pour tout faire. Chaque sensibilité politique gardera la liberté de choix des politiques conformes à ses convictions, pourvu que l'objectif reste le même : le respect des principes
élémentaires de bonne gouvernance et de la règle de droit, la prise en compte des intérêts de tous les Haïtiens généralement quelconques. Une fois que tous se mettent d'accord sur la démarche, il
faudra élaborer un document de procédure pour la conduite des travaux et pour l'adoption du pacte. Une fois le pacte voté il serait judicieux de constituer un observatoire de sa mise en œuvre,
question de rappeler à l'ordre tous ceux qui voudraient s'en écarter ou l'ignorer. De notre point de vue, le regroupement d'églises dénommé, Religions pour la Paix, est déjà tout désigné en la
circonstance, si bien entendu, les autres n'y voient pas d'inconvénients. Pétion Ville le 21 avril 2012 Serge Gilles Ancien Sénateur de la République
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