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 Haiti-Refondation.org

Haïti : Le 8 mars, une fête hypocrite et sans effet

8 Février 2016, 08:18am

Publié par haiti-refondation-org

Haïti : Le 8 mars, une fête hypocrite et sans effet
Par Nancy Roc
le 7 mars 2016
Toute femme éduquée, intelligente, qui s’affirme au XXIème siècle et qui connait la condition féminine dans le monde aujourd’hui, ne peut que saluer l’écrivain féministe et philosophe français Dominique Quessada qui a écrit : « La femme qui aspire à être l’égale de l’homme manque singulièrement d’ambition ». [1]
En effet, lorsqu’on regarde ce que font subir la majorité des hommes aux femmes, encore aujourd’hui, aucune femme ne devrait envier le statut des hommes. Comme dirait Dominique Quessada, beaucoup d’hommes sont « des aveugles, sourds et malentendants ». On pourrait aller bien plus loin quant aux accusations qu’on peut porter aux hommes, à leur immoralité, cruauté et aux conséquences de leur brutalité dans le monde entier ; du Congo à Daech, en passant même par le Vatican, laissons aux lectrices et lecteurs le soin de se cultiver.
Loin de moi l’idée de revenir aussi aujourd’hui sur le combat courageux des organisations féministes en Haïti, souvent taxées de tous les noms par ignorance, méchanceté ou incompréhension. J’aimerais toutefois faire valoir certains points qui me poussent à écrire aujourd’hui que le 8 mars en Haïti est une fête hypocrite et sans effet qui ne devrait pas être une célébration mais plutôt une journée de réflexion et surtout d’actions. En effet, dans notre société en perpétuelle crise, malade d’injustices, de viols, de répressions et d’inégalités, cette soi-disant « célébration » du 8 mars est non seulement sans effet mais elle est presque devenue irritante de par son hypocrisie. Après tout, que veut dire une journée de la femme dans un pays où l’on peut s’offrir une révision de la constitution pour son ambition personnelle ou constamment violer ladite constitution sans que cela n’ait le moindre impact sur l’ensemble du pays ?
Entre célébration et droits de la femme
Cette année, les Nations unies ont choisi pour thème du 8 mars, « La parité en 2030 : avancer plus vite vers l’égalité des sexes ! ». L’ONU veut mettre l’accent sur les moyens d’accélérer le programme de développement durable à l’horizon 2030 et sur la mise en place d’un élan pour la mise en œuvre effective des nouveaux objectifs de développement durable, en particulier l’objectif 5 sur l’égalité entre les sexes et l’objectif 4 sur l’éducation de qualité pour tous. Il s’agit aussi de mettre en lumière l’initiative « Pour un monde 50-50 en 2030 » d’ONU Femmes, ainsi que d’autres engagements en faveur de l’égalité entre les sexes, les droits des femmes et ce qui permet de favoriser leur autonomie.
Les cibles clefs du programme de développement durable à l’horizon 2030 :
• D’ici à 2030, faire en sorte que toutes les filles et tous les garçons suivent, sur un pied d’égalité, un cycle complet d’enseignement primaire et secondaire gratuit et de qualité, qui débouche sur un apprentissage véritablement utile, conformément à l’objectif de développement durable ;
• D’ici à 2030, faire en sorte que toutes les filles et tous les garçons aient accès à des activités de développement et de soins de la petite enfance et à une éducation préscolaire de qualité qui les préparent à suivre un enseignement primaire ;
• Mettre fin, dans le monde entier, à toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et des filles ;
• Éliminer de la vie publique et de la vie privée toutes les formes de violence faite aux femmes et aux filles, y compris la traite et l’exploitation sexuelle et d’autres types d’exploitation ;
• Éliminer toutes les pratiques préjudiciables, telles que le mariage des enfants, le mariage précoce ou forcé et la mutilation génitale féminine. [2]
Soyons réalistes et allons droit au but : tout(e) Haïtien(ne) éduqué(e) qui lit ces objectifs sait pertinemment que son pays n’arrivera pas à les atteindre en 2030 ; tout comme il n’a pas pu atteindre les huit objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) en 2015. Cela dit, Haïti ne fait pas exception puisque l’ONU, face à l’échec de plusieurs pays à atteindre les OMD, a élaboré un programme ambitieux pour l’après-2015 : Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030 qui s’articule autour de 17 objectifs mondiaux pour le développement durable [3].
Il y a plusieurs appellations pour le 8 mars : Journée de la femme, Journée internationale de la femme et Journée internationale des droits de la femme. Il me semble qu’Haïti devrait plutôt retenir le dernier. Et, de fait : quels sont les droits des Haïtiennes et ceux qui sont respectés en Haïti aujourd’hui ? Pratiquement aucun et qui pis est, sous le régime de Michel Martelly, la condition des femmes en Haïti s’est dégradée. Jetons juste un regard vers le Parlement : aucune femme n’y est représentée en 2016, ni au Sénat, ni à la Chambre des députés. La 50eme législature bat donc le triste record de la 44eme législature, en 1988, qui n’avait qu’une seule femme parlementaire sur 110 élus : Mme Myrlande Manigat, élue sénatrice.
Marche arrière pour les femmes en 2016
Sur cinq législatures qui se sont succédé au parlement haïtien depuis la chute des Duvalier le 7 Février 1986, seules 31 femmes ont été élues pour 661 hommes [4]. La Constitution de 1987, amendée en 2011, « consacre l’égalité des sexes » en établissant le principe d’un quota d’au moins 30% de femmes dans toutes les activités de la vie nationale, notamment dans les services publics ; quota durement acquis grâce au combat des organisations de femmes. Le décret électoral de 2015 exige aussi le respect du quota de 30% par les partis politiques au moment du choix de leurs candidats à différents postes électifs. Alors, que s’est-il passé pour qu’aucune femme ne soit présente au Parlement ? Serait-ce comme l’a dit un internaute sur Twitter ce week-end parce que, peut-être, « elles ne veulent pas faire partie de cette horde de racaille de politicards » qui siègent dans cette institution ?
En fait, explique Marie Frantz Joachim, coordonnatrice de la Solidarite fanm Ayisyen, (Solidarité des femmes haïtiennes/SOFA), « le Conseil électoral provisoire (CEP) n’a pris aucune disposition pour favoriser la participation des femmes. Système électoral censitaire, forte somme d’argent pour l’inscription, demande des pièces sur une durée restreinte ont été les méthodes employées par le CEP pour exclure les femmes dans le processus ». De plus, ajoute-t-elle, « ce parlement composé uniquement d’hommes, est une stratégie utilisée par l’Etat pour faire passer plus efficacement des projets particuliers ». [5] Les violences et fraudes, dont beaucoup ont été dénoncées comme faisant partie de la stratégie de Michel Martelly lors du dernier scrutin, ont également empêché l’implication plus constante des femmes. Ainsi, sur 2029 candidats inscrits aux dernières élections législatives (1767 pour la députation et 262 pour le sénat), il n’y a eu que 8% de femmes, dont 129 candidates à la députation et 23 au sénat [6].
Pour le Dr Ginette Rivière Lubin M.D, « dans notre société, l’homme a toujours symbolisé, depuis l’indépendance, le pouvoir et la domination. La preuve en est qu’il a toujours occupé majoritairement l’espace du pouvoir, malgré les luttes menées pour les droits de la femme », déclare-t-elle, en rappelant que « l’histoire a toujours occulté l’apport important des femmes, nos aïeules, dans la bataille pour l’indépendance d’Haïti. Le Parlement haïtien et les partis politiques ne sauraient nous démentir ». [7]
L’année 2015 restera toutefois dans les annales de l’histoire comme celle d’un recul très significatif de la participation des femmes dans les affaires publiques : seules 4 femmes, sur 56 candidats en lice pour les présidentielles de 2015, ont été agréées par le Conseil Électoral Provisoire, dont la mainmise de Martelly a entrainé de nombreuses manifestations. Ces dernières on le sait, ont débouché sur l’accord du 6 février et le départ de Martelly le 7 février 2016. Le gouvernement de transition actuel a été ainsi choisi par un parlement qui s’est « érigé en pouvoir suprême », selon la SOFA, pour choisir un président provisoire de transition, en la personne de Jocelerme Privert. La démarche du parlement, dont la légitimité demeure contestée, « nous ramène à 70 ans en arrière, où l’élection présidentielle se réalisait au second degré et où les hommes choisissaient, à eux seuls, les dirigeants pour le peuple », déplore la SOFA [8].
Ainsi, en 2016, alors qu’à l’échelle internationale le nombre de femmes parlementaires a connu une augmentation, notamment en Iran avec l’élection d’au moins 20 femmes au parlement [9], un record dans l’histoire de cette république islamique ; Haïti fait non seulement piètre figure avec son parlement patriarcal, mais ce pays fait preuve d’un système politique et sociétal rétrograde en ce XXIème siècle.
Au niveau du Conseil électoral provisoire (CEP), la future composition du Conseil d’administration de cette institution laisse déjà présager d’une faible représentation de femmes parmi ses 9 membres. En effet, tous les secteurs concernés ont choisi des hommes sauf le secteur des femmes qui a porté son choix sur Marie Frantz Joachim, coordonnatrice de l’organisation féministe Solidarite fanm ayisyèn (SOFA). De son côté, le secteur privé des affaires a proposé deux noms, dont une femme, Marie-Herolle Michel. L’autre choix se porte sur Jacques Bernard. Quant aux organisations syndicales, leur choix n’est pas encore fait. Le sort de la conseillère électorale sortante du CEP, Lourdes Edith Joseph Delouis, n’a pas encore été décidé. Enfin, les organisations dénommées « Monde syndical » et la Confédération générale des travailleurs (Cgt) ont désigné Josette Jean Dorcely et Lubin Jean Dieudonné [10].
Un ministère fantôme
Le Ministère à la condition féminine et aux droits de la femme, demeure plus que jamais un ministère presque fantôme. Contrairement à certaines collègues féminines très en vue sous Martelly, la dernière ministre de la Condition féminine a tellement peut agi - ou du moins, ne s’est tellement pas fait voir ni entendre- que j’ai dû consulter le Web pour connaitre son nom : Gabrielle Hyacinthe…que je connaissais mieux comme directrice générale du CEP en 2012.
Rappelons que Mme Yves Rose Morquette qui l’avait précédée à ce poste a démissionné, le 7 août 2015, révoltée par les insultes proférées par le président Michel Martelly à l’encontre d’une femme lors d’un meeting électoral à Miragoâne.
L’adage veut que le poisson pourrisse par la tête. Michel J. Martelly remporte la peu glorieuse palme du président haïtien le plus grossier de l’histoire moderne. Les mépris, les agressions verbales et sexuelles de cet homme contre des citoyennes sont désormais tristement célèbres. Ton rageur, propos orduriers, Martelly a aussi été le président qui a démontré, « qu’aux yeux du président, les femmes n’ont pas droit à la parole et doivent se soumettre à l’autorité masculine, surtout lorsqu’il s’agit d’un chef. Et, les femmes sont destinées à assouvir le plaisir masculin », ont dénoncé une pléthore d’organisations féministes et des droits humains le 1er août 2015 [11].
En ce 8 mars 2016, le seul fait à célébrer par les femmes haïtiennes est l’absence de Martelly comme président. Il n’a été ni le président de tous les haïtiens et encore moins des haïtiennes, sauf des siennes… Il n’est donc pas surprenant que la condition des femmes se soit drastiquement dégradée ces cinq dernières années, tant sur le plan politique que social. Que voulez-vous, il était de ces hommes qu’on désigne comme des fats. Et, un fat, « s’il parait avoir de l’esprit, ce n’est jamais qu’à ceux qui n’en ont point [12] ».
Nancy Roc, Accra, le 7 mars 2016.
[1] Dominique Quessada, Le nombril des femmes, Editions du Seuil, 2011.
[2] ONU, Journée internationale de la femme 8 mars
[3] ONU, Programme de développement durable à l’horizon 2030
[4] Radio Galaxie, Cinq législatures se sont succédé au parlement haïtien depuis la chute des Duvalier le 7 Février 1986, 16 juillet 2015.
[5] HPN, Les femmes totalement absentes de la 50eme législature, le 18 janvier 2016.
[6] Ibid.
[7] Dr Ginette Rivière Lubin, Mesdames, la vigilance est de rigueur, Le Nouvelliste, le 5 mars 2015.
[8] AlterPresse, La Sofa dénonce la démarche du parlement pour élire un nouveau président provisoire, 12 février 2016.
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